« Les 1001 nuits », illustré par Lucien Laforge

Rendez-vous cette semaine à la croisée de deux univers : l’Orient exotique des « Mille et une Nuits » et un illustrateur français à contre-courant de son époque. La trouvaille que nous souhaitons partager avec vous cette semaine : « Les 1001 nuits » de 1912, illustré par Lucien Laforge, ou quand les contes traditionnels rencontrent le trait d’un dessinateur avant-gardiste, cela donne une œuvre unique !

Lucien Laforge, un homme de convictions

C’est à Paris et en 1889 que naît Lucien Laforge, d’une mère peintre de miniatures et d’un père violoniste. Nourri à l’art dès l’enfance, il hésite quelques temps entre devenir musicien professionnel ou bien dessinateur. Il choisit finalement le dessin et suit des cours à l’académie Humbert. Critique, il trouve que l‘enseignement y est trop académique et qualifie le style dominant de pompier. Laforge n’a en effet que peu de goût pour cette tendance prônant la profusion de détails, l’emploi de couleurs trop vives afin de créer un effet sensationnel. Il suffit de regarder quelques dessins du peintre-dessinateur pour s’apercevoir que son style se situe aux antipodes de celui de son époque.

Lucien Laforge (1889-1952)

En 1910, il commence à vendre ses talents pour plusieurs journaux dits de divertissement (« Tout-Paris »). Cependant, Laforge est un homme engagé et il préfère travailler pour les papiers lui permettant d’exprimer ses idées politique de gauche. On note ainsi sa participation à : « Les hommes du jour », « Le libertaire », « Le merle blanc », « L’Humanité » ou encore « Le Canard enchaîné » pour n’en citer que quelques uns. C’est en tant qu’illustrateur de journaux qu’il gagne (assez pauvrement) sa vie. Bien qu’il continue de peindre en parallèle, ses œuvres ne sont pas reconnues.

Lucien Laforge est un homme de convictions, aux valeurs profondément libertaires et pacifistes. Ainsi, il n’hésite pas à simuler la folie par deux fois afin de se faire réformer en 1915 et 1917. Mis à part quelques confrères (dont Gus Bofa), son oeuvre n’est pas reconnue de son vivant (et assez vite oubliée par la suite). Pour autant, il ne changera jamais de ligne ; qu’il s’agisse de son trait dépouillé ou de son esprit critique (vis-à-vis de la guerre notamment).

« Mais moi je ne suis pas à la mode […] je n’aime que la vie et la liberté. »

Le style avant-gardiste de Lucien Laforge

Outre le dessin d’humour et politique, Laforge illustre aussi quelques classiques, de Baudelaire à Perrault, en passant par Descaves et Rabelais. Trois oeuvres en particulier sont à retenir : « Ogier le Danois » (1913), « Les 1001 nuits » (1912) et « Le film 1914 » (1922). Pour les deux premiers ouvrages, Laforge met de côté son mordant pour s’adresser aux enfants. Le dernier dépeint quant à lui les horreurs de la guerre et la bêtise des hommes.

Vous l’aurez compris, notre dessinateur se distingue par son style unique, que l’on pourrait qualifier d’épuré, de dépouillé, sans fioritures aucune. Nous l’avons en effet mentionné plus tôt, Laforge a en horreur le style baroque et chargé de son époque. Au fil des années, Laforge ne cesse de simplifier son dessin, de réduire au minimum le décors et les détails pour au final ne garder que l’essence de l’idée qu’il souhaite partager. Le dessin gagne alors en puissance, en pureté et marque le lecteur durablement. Il est alors le seul à travailler de cette manière (excepté peut-être Grove), allant alors à l’encontre totale de la mode d’alors.

Ses illustrations pour la jeunesse nous permettent de voir les dessins de Laforge en couleurs, un art qu’il maniait également avec brio. Vous pouvez apercevoir dans nos photos son trait caractéristique. Et l’on peut imaginer grâce aux couleurs et à quelques tableaux présents dans le livre, le peintre qui se cache derrière le dessinateur. Laforge a également dessiné un abécédaire (cf notre article qui lui est consacré). Enfin, il aimait aussi se prêter à l’exercice de l’ex-libris dont voici un bel exemple !

C’est en 1952 que Lucien Laforge décède des suites d’un AVC, dans l’indifférence générale. Probablement écœuré par l’arrivée de la Seconde Mondiale, il avait cessé de dessiner.

Les 1001 nuits
Illustrations de Lucien Laforge
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