27 Juin 2016
L’Enfer de Dante, illustré par Gustave Doré (1891)
Munissez-vous d’une obole pour Charon et préparez-vous à embarquer sur le Styx, car nous vous conduisons en Enfer cette semaine ! Et pas n’importe lequel, celui de Dante Alighieri, illustré par Gustave Doré.
Un ouvrage devenu rare
C’est en 1861 que Doré commence à travailler sur l’illustration de « La Divine Comédie » de Dante (qui comprend « L’Enfer », « Le Purgatoire » et « Le Paradis »). Il mettra plus de 7 ans à terminer ce projet (qu’il ponctue par beaucoup d’autres). Doré utilise le format et la technique utilisés pour l’illustration du « Juif errant », de Pierre Dupont. Il abandonne donc la traditionnelle plaque de cuivre et opte pour le bois de teinte (dite gravure d’interprétation ou xylogravure), ce qui lui permet d’obtenir un rendu beaucoup plus subtile et riche grâce aux nuances et demi-teintes des lavis. Cependant, suite à la réticence des éditeurs qui jugent ces éditions in-folio trop luxueuses (et donc trop coûteuses), Doré prend sur lui d’auto-éditer ces oeuvres et publie la première partie de « La Divine Comédie » en 1861. Suite au succès critique et populaire, les éditeurs changent rapidement d’avis ! Cet exemplaire de « L’Enfer » est publié en 1891, chez la Librairie Hachette et Cie. Vous pouvez observer sur nos photographies la richesse des gravures de Doré, leur vivacité et l’adéquation du format in-folio qui permet d’observer chaque tableau dans les moindres détails. Le cartonnage en percaline rouge combiné à un titrage stylisé doré est des plus saisissants. Le tout est en très bon état.
Gustave Doré, artiste majeur du XIXe siècle
Le jeune Gustave Doré est né à Strasbourg en 1832 et a tout de l’enfant prodige. Très tôt, il manifeste un don précoce pour le dessin. Son esprit curieux est nourri par de nombreuses lectures et son sens de l’observation aigu lui permettent déjà de dessiner des croquis talentueux. A 10 ans, il dessine ses premiers albums, directement inspirés des Scènes de la vie privée et publique des animaux, de Grandville (aux éditions Hetzel). Son style vivace teinté d’humour s’affine vite et à 13 ans, Gustave Doré voit ses premières œuvres publiées, il s’agit de 3 lithographies.
S’ensuit le début d’une carrière riche, innovante et prolifique. Ainsi, Doré coiffera tour à tour les casquettes de caricaturiste, peintre, sculpteur, illustrateur, auteur de bandes-dessinées et graveur. Très vite, il devient incontournable dans le milieu et se fait connaître à Paris alors qu’il n’a que 15 ans. Un de ses grands projets consiste à illustrer les livres de sa bibliothèque idéale, constituée d’une trentaine de « chefs-d’oeuvre de la littérature ». Des Contes de Perrault à Shakespeare en passant par la Bible et Homère, tous auront droit à leur illustration par Doré, jusqu’à devenir indissociables pour certains. Celle du poème de Coleridge (The rime of the ancient mariner*) est considérée comme sa plus grande réalisation.
Après avoir fondé une école de gravure, s’être fait connaître dans toute l’Europe et ouvert la Doré Gallery à Londres, Gustave Doré meurt d’une crise cardiaque en 1883, à l’âge de 51 ans. Il laisse derrière lui plus de 10 000 dessins, illustrations et oeuvres en tous genres. Son héritage est aussi culturel, car Doré aura une influence considérable sur les générations futures d’illustrateurs.
Un critique désormais anonyme : « L’auteur est écrasé par le dessinateur. Plus que Dante illustré par Doré, c’est Doré illustré par Dante. »
*La complainte du vieux marin
Si vous souhaitez recevoir nos newsletters thématiques (gravures, livres anciens, livres illustrés, etc.), il vous suffit de vous inscrire ICI.
4 Août 2021
0 Comments
La Divine Comédie par Dante
L’ouvrage du jour met en relation deux personnalités qu’a priori tout sépare. L’auteur, Dante Alighieri, italien dont la vie se partage entre le XIIIème et le XIVème siècles, et l’illustrateur, Salvador Dalí, originaire d’Espagne et qui vécut au XXème siècle, ont pourtant plus que l’art en point commun, malgré les siècles de distance. On peut citer les figures féminines qui ont marqué leurs existences, Beatrice di Folco Portinari pour l’un et Gala Dalí pour l’autre, muses idolâtrées voire mythifiées dans les œuvres de ces deux artistes, ou bien encore leur foi partagée pour le catholicisme. Et c’est l’intérêt pour la religion qui est au cœur du texte que nous vous présentons aujourd’hui, à travers un pèlerinage célèbre qui descend à travers les Enfers pour arriver à la divinité : la Divine Comédie.
L’exemplaire paru aux éditions des Heures Claires réunit l’illustre texte de Dante et le dessin de l’artiste le plus excentrique du XXème siècle. Il se présente en trois séries de deux volumes dont le découpage suit celui des trois parties de la Divine Comédie : l’Enfer, le Purgatoire puis le Paradis. Les volumes sont sous emboîtage et imprimés sur vélin pur chiffon de Rives ; ils font partie des 3900 exemplaires qui ont été imprimés entre 1959 et 1963. Cette édition présente 100 aquarelles de Dalí gravées sur bois, une pour chaque chant qui compose le texte original.
L’originalité de cette édition, qui associe l’artiste le plus excentrique du XXème siècle et l’illustre auteur de la langue italienne, permet d’apprécier le résultat de l’appropriation d’un grand texte de la littérature médiévale par l’univers singulier et déluré de Dalí. Son style très étiré transforme les personnages et les couleurs : les figures humaines deviennent éthériques, les couleurs, par l’aquarelle, se diluent pour perdre en vivacité mais gagner en volume. Tour à tour par des rondeurs célestes ou des coulures anxiogènes, Dalí glisse dans son dessin autant de références aux madones de la Renaissance qu’au surréalisme du XXème siècle dont il est l’un des plus grands représentants.
Composé au début du XIVème siècle (entre 1303 et 1321), la Divine Comédie est un poème divisé en trois parties : l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis. Chacune est composée de trente-trois chants, à l’exception d’un chant inaugural supplémentaire pour l’Enfer. Le poème raconte le voyage de l’auteur dans l’au-delà chrétien à travers sa descente aux Enfers, la traversée du Purgatoire jusqu’à l’ascension au Paradis et son accession à la divinité. Dante, lui-même narrateur, raconte son égarement et la perte de sa foi, puis son pèlerinage par les mondes spirituels pour retrouver le droit chemin. Dans les deux premières parties, il est guidé par le poète antique Virgile, envoyé par Béatrice, la jeune femme aimée, qui, à sa mort, a intercédé auprès de Dieu pour libérer Dante de ses péchés, puis lui montrera le chemin du Paradis. Virgile en tant que poète le plus sage de l’Antiquité, est ici une allégorie de la raison, nécessaire pour éviter la perdition mais hélas insuffisante pour arriver jusqu’à Dieu ; la foi, que Béatrice représente, est ici fondamentale et permet à Dante d’accéder à la sainte Trinité.
L’illustration du texte de Dante constitue pour l’artiste espagnol un travail de longue haleine – une dizaine d’années – et a connu quelques péripéties. En 1950, la Libreria dello Stato, à Rome, commande à l’artiste espagnol une version de luxe illustrée de la Divine Comédie : cent aquarelles pour les cent chants du poème. Une partie du travail est exposée à partir de 1951 à Rome, tandis que Dalí continue de plancher sur le texte de Dante. Cependant, au bout de quelques années, le gouvernement italien s’offusque que la commande ait été passée à un artiste étranger : le texte de la Divine Comédie doit être illustré par un artiste italien. Le contrat est rompu, Dalí devient le seul propriétaire de son œuvre. Les droits et l’exclusivité en sont achetés par les éditions des Heures Claires en 1959. La gravure sur bois des aquarelles, par Raymond Jacquet, et l’impression sont réalisées sous la direction de Jean Estrade. L’intégralité des aquarelles de Dalí sera exposée au musée Galliera à Paris en 1960.
Le texte de Dante, qui offre un éclairage important sur la conception du monde au temps médiéval, modelée par l’Eglise catholique romane, trouve, avec le talent artistique de Dalí, une résonance nouvelle. Cet ouvrage des éditions des Heures Claires constitue un exemple sophistiqué de la manière par laquelle le style éclectique et décalé de l’artiste espagnol vient enrichir et sublimer l’antique et complexe écriture allégorique de Dante.