10 Nov 2017
Les Oiseaux de l’Egypte et de la Syrie, 14 magnifiques gravures par procédé Jacomet (Le Jardin de Flore 1979)
Ce n’est pas une simple trouvaille, mais un véritable trésor visuel que la librairie vous propose cette semaine ! Les naturalistes, amoureux des oiseaux mais aussi collectionneurs en tous genres vont pouvoir découvrir une très belle rareté. Il s’agit de 14 planches sous chemise représentant 44 gravures d’oiseaux égyptiens et syriens réalisées avec le procédé Jacomet. Elles sont accompagnées de cahiers d’explication et de classification des espèces signées Jules-César Savigny et Victor Audouin. Découvrez avec nous l’histoire du conquérant et du scientifique, de l’architecte et de l’imprimeur qui se cache derrière cette oeuvre magnifique.
Les expéditions napoléoniennes
L’histoire originelle des ces gravures remonte au début du XIXe siècle, du temps où Napoléon avait pour ambition de conquérir l’Egypte. Outre son armée, l’empereur y a aussi emmené une importante délégation de scientifiques et artistes, dont les observations seront consignées dans l’un de chefs-d’oeuvre de l’édition française: La description de l’Egypte. Cette entreprise monumentale compte pas moins de 23 volumes, dont 13 consacrés aux gravures (ce qui représente plus de 1000 planches quasi-intégralement en noir). Un défi logistique et technique, puisque l’expédition a nécessité de nouveaux moyens pour aider fabricants de papier, les graveurs et les imprimeurs à mener à bien leur tâche hors-norme (certains formats de papier pouvaient aller jusqu’au mètre carré).
Les planches d’oiseaux dont il est question aujourd’hui, appartiennent naturellement à la série des Oiseaux, dont l’étude a été confiée à Jules-César Savigny (botaniste/zoologiste/ornithologue). Les planches originales ont été réalisées à la gouache.
Fernand Pouillot et le Jardin de Flore
Grand architecte de formation, Fernand Pouillon (1912-1986) nourrit d’autres passions qu’il finit par assouvir avec humanisme et talent. Il s’essaiera aussi à la littérature avec un roman écrit en prison et la publication de ses mémoires en 1968. Ce n’est ni à l’un ni à l’autre que nous faisons référence aujourd’hui, mais au Fernand Pouillon éditeur. Celui qui crée en 1974 le Jardin de Flore. Une maison d’édition dont le but avoué est l’excellence bibliophilique. S’entourant des meilleurs spécialistes et artisans d’art et du livre (dont fait partie Daniel Jacomet cité plus bas), il cherche à rééditer à 250 exemplaires la fine fleur des ouvrages d’art et d’architecture du XVe au XXe siècle. Il souhaite également réaliser des oeuvres originales à l’aide de méthodes artisanales autour de certains thèmes de prédilections comme les jardins, les bijoux ou encore les oiseaux…
Le procédé Jacomet
Véritable artisan du livre, Daniel Jacomet s’est consacré à la recherche de techniques toujours plus poussées dans les domaines de la phototypie, du pochoir et du vieillissement du papier. Des techniques avantageusement utilisées lors de la production de fac-similés de documents anciens (« gravures et dessins rehaussés, aquarelles, pastels, sanguines et manuscrits »). A tel point que son nom est donné au procédé qu’il a élaboré et il est aujourd’hui établi que ce dernier « tend vers une fidélité de reproduction reconnue comme unique au monde« . Ainsi Jacomet compte parmi ses réalisations des fac-similés du Manuscrit B de De Vinci, celui de Champollion, mais aussi des carnets de dessins de grand maîtres peintres (Picasso, Gauguin, Matisse…)*. C’est Daniel Jacomet lui-même qui a reproduit les 14 planches de la suite des Oiseaux et procédé, entièrement à la main et avec l’aide de Jean-Marie Le Danois, à la mise en couleurs des oiseaux. Ceux-ci, au nombre de 44, sont représentés grandeur nature. Admirez plutôt!
*Plus d’informations concernant le procédé Jacomet sur le site de l’imprimeur (un savoir-faire qu’il a transmis à ses descendants).
23 Mar 2018
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Ar Seiz Breur, mouvement artistique breton moderne
Pendant l’entre-deux-guerres, de jeunes artistes bretons se regroupent et se fixent un objectif: mettre les arts celtes et breton en particulier au goût du jour. De cette volonté est né le mouvement Ar Seiz Breur (des Sept Frères en breton). Abraxas-Libris vous invite cette semaine à la découverte d’un phénomène artistique régional peu connu et qui pourtant influence encore les artistes bretons d’aujourd’hui.
Bois gravé extrait de « L’Histoire de Notre Bretagne » (1922) par Jeanne Malivel
L’art breton modernisé
Plusieurs versions existent, mais c’est probablement lors d’un cours de celtiques à la Sorbonne de Paris que Jeanne Malivel, René-Yves Creston et Georges Robin se rencontrent. Puis, c’est dans un second temps, en 1923 lors d’un pardon à Folgoët que ces derniers (rapidement rejoints par James Bouillé) décident de concrétiser leurs projets. Les artistes sont céramistes, architectes, graveurs ou peintres et font l’état des lieux de l’art traditionnel breton au lendemain de la guerre 14-18. Bretons d’origine, ils ont également étudié les arts décoratifs à Paris et regrettent l’immobilisme de l’art breton qu’ils jugent figé dans le passé. Pour eux, il existe trois raisons principales à cette perception surannée. La culture parisienne d’une part, prenant le pas sur les cultures régionales traditionnelles en les faisant passer de mode. La naissance du tourisme d’autre part, incitant les bretons à conserver leurs attributs pittoresques: l’époque dite de la « biniouserie« . Enfin, nous l’évoquions plus tôt, l’après-guerre et la production massive de monuments aux morts souvent commandés en série, au détriment des sculpteurs et tailleurs de pierre locaux.
Vue générale de la façade occidentale de la chapelle de Coat-Quéau édifiée par James Bouillé, à Scrignac, Finistère, Bretagne, France.
Pour les jeunes artistes, l’art se doit d’être l’expression vivante de son peuple et non se contenter de reprendre les mêmes recettes éculées. Tout l’enjeu réside dans le fait de reprendre les codes de l’art traditionnel breton tout en le modernisant.
Sous l’impulsion de Jeanne Malivel, le groupe se trouve un nom symbolique : Ar Seiz Breur, (« les Sept Frères »), une idée qui serait tirée d’un conte du pays gallo.
Île Tristan : la chapelle des aviateurs (dénommée ainsi en l’honneur de l’aviateur Dieudonné Costes, ami de Jacques Richepin ; de style néobreton ; construite en 1930 en granite gris de Lanhélin par l’architecte James Bouillé, qui faisait partie du mouvement des Seiz Beur et devenue caveau familial de la famille Richepin)
Les membres fondateurs du mouvement des Seiz Breur
Les trois membres fondateurs ont vite été rejoints par d’autres artistes du milieu culturel breton. Voici quelques uns de leur représentants.
Xavier de Langlais (né à Sarzeau 1906 – 1975), peintre, graveur, céramiste, verrier et écrivain. Rejoint l’Unvaniezh Seiz Breur en 1924. Militant breton, il œuvrera notamment pour l’art chrétien breton et la langue bretonne vannetaise avec plusieurs revues culturelles. Il fera sa carrière en tant qu’enseignant à l’École des Beaux-Arts de Rennes.
« Inizi ar Yaouankiz », par Xavier de Langlais. Musée de Bretagne: 2008.0032.13.1.
Jakez Riou (né à Lothey 1899 – 1937), écrivain en langue bretonne, il participe notamment à la revue littéraire Gwalarn.
Xavier Haas (né à Paris 1907 – 1950), peintre et graveur. Breton d’adoption, il y rencontre Xavier de Langlais et rejoint les Seiz Breur en 1936 à l’occasion de l’Exposition Internationale de Paris (pavillon Bretagne).
Creston René-Yves et Suzanne (nés à Saint-Nazaire 1898 – 1964 et 1899 – 1979). Lui: peintre (officiel de la Marine), sculpteur, graveur mais aussi ethnologue. Co-fondateur du mouvement qu’il dirigera jusqu’en 1944 où il cédera sa place à Xavier de Langlais (résistant). Elle: céramiste, elle créera par la suite avec Marguerite Gouarlaouen la confrérie des Nadoziou « les aiguilles » afin de promouvoir l’art du tissage.
« Le vieil arbre ». Estampe de Jeanne Malivel. Musée de Bretagne: 2006.0007.8.
Jeanne Malivel (née à Loudéac en 1895), elle se tourne vers la peinture, l’illustration et la gravure. Elle participe à la création du journal régionaliste Breiz Atao. Co-fondatrice des Seiz Breur, elle s’en éloigne après des divergences au sein du groupe et meurt prématurément de la typhoïde en 1926.
Youenn Drezen (né à Pont-l’Abbé 1899 – 1972) est journaliste et écrivain, et cherche à travers l’adhésion à de nombreux mouvements littéraires, culturels et artistiques à redonner ses lettres de noblesse à la culture bretonne en général. Gwalarn, Al liamm, Radio Roazon Breiz, L’Heure bretonne, Stur, La Bretagne…
D’autres artistes ont intégré ou côtoyé le mouvement, parmi eux: Roparz Hemon, James Bouillé, Caouissin Herry, Pierre Péron, etc.
Illustré par René-Yves Creston
Leurs sources d’inspiration gravitent autour de thèmes séculaires bien ancrés dans l’imaginaire breton: toutes les mythologies celtiques, les incontournables légendes bretonnes (Brocéliande et cycle arthurien), le druidisme, la religion (pardons, pèlerinages, vie des saints). Sans pour autant oublier d’y intégrer la vie quotidienne en reprenant les thèmes traditionnels de la ruralité et de la maritimité. Les décors surchargés, la lourdeur sont abandonnés, pour ne laisser qu’un motif, une forme, épurés et conservant malgré tout l’esprit breton / celte. L’art, bien que plus abstrait reste populaire et décoratif ; il est décliné sur les objets de la maison (faïence, textile, mobilier). Aujourd’hui encore, ce renouveau a gardé sa beauté, sa modernité et continue d’inspirer les nouvelles générations d’artistes.
—- Les curieux peuvent voir ici une petite vidéo présentant une exposition sur le mouvement Seiz Breur aux Beaux-Arts de Rennes (2000). —-
L’art néobreton s’étend aussi au design mobilier, avec ici des assiettes dessinées par Jeanne Malivel
Pour terminer, nous vous laissons avec quelques illustrations caractéristiques du mouvement Seiz Breur (tirées de nos étagères), dont « Ene Al Linennou« , un livre important dans lequel son auteur, Xavier de Langlais y expose ses idées sur l’art et notamment l’importance des lignes dans le dessin et la peinture. Un ouvrage proche de l’essai sur l’art décoratif breton!