4 Juil 2021
Code civil
Le 5 mai dernier était célébré le bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte. Figure charismatique, qui a marqué l’histoire de France du début du XIXème siècle par son aura, ses faits d’armes et un règne aussi fulgurant que bref, l’empereur Napoléon 1er et son empire se placent après dix ans de Révolution française. Une décennie marquée par les instabilités et les luttes politiques, pour une société exsangue et en quête d’équilibre, ce qui offre, par conséquent, un contexte favorable à Napoléon pour le passage de ses réformes. En effet, celui-ci bénéficie alors de la puissance d’un chef d’Etat – la sienne -, une aspiration sociale à la stabilité et une réceptivité aux nouvelles idées accrue par la Révolution.
C’est dans ce contexte que se placent la rédaction et la promulgation du Code civil le 21 mars 1804 (30 ventôse an XII), qui constitue la plus grande fierté de Napoléon : « Ma vraie gloire, ce n’est pas d’avoir gagné quarante batailles […]. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code civil ».
C’est l’ouvrage que nous mettons en lumière aujourd’hui : nous avons, en effet, en vitrine, un exemplaire d’origine du grand projet de Bonaparte. Cette « édition originale et seule officielle » de 1804 est passée par les presses de l’imprimerie de la République. L’ouvrage que vous pouvez admirer sur la photographie ci-dessus est l’exemplaire de la mairie de Saint-Samson, commune des anciennes Côtes du Nord (actuelles Côtes d’Armor), comme le démontrent les tampons en page de titre. Ceux-ci, avec la couronne et les trois fleurs de lys, estampillent l’ouvrage comme datant de la période de la Restauration. La reliure début XIXème siècle en demi-peau, avec son dos lisse orné de fers dorés, présente quelques épidermures au cuir, des frottements et des marques d’usage au niveau des plats et des coupes. Le mors et la coiffe supérieurs sont un peu abîmés, mais l’intérieur frais témoigne de la qualité de conservation de ce bel exemplaire.
Le projet de base du Code Napoléon est ambitieux : à la suite de l’abolition des privilèges (droits féodaux et noblesse) du 4 août 1789, l’urgence est d’établir un droit unique et de l’inscrire par écrit. La tâche n’est pas simple. Il ne s’agit pas de la première tentative d’unification du droit dans l’histoire. Les Lois civiles dans leur ordre naturel, écrite par Jean Domat en 1689, semblent en constituer la première synthèse probante, en fusionnant les coutumes locales et le droit romain autour de la Coutume de Paris. On peut également citer le Commentaria de consuetudinibus ducatus Burgundiae en 1517 par Barthélémy de Chasseneuz, qui a servi de référence pour le Code Napoléon. Les rois de l’Ancien Régime n’avaient pas le pouvoir de changer les lois civiles, propres à chaque territoire ; l’unification se faisait alors par la jurisprudence et le travail des jurisconsultes.
En 1800, le Consulat nomme quatre juristes pour rédiger le « Code civil des Français » : François Denis Tronchet (spécialiste de la Coutume de Paris), Bigot de Préameneu (spécialiste de la Coutume de Bretagne), Jean-Etienne-Marie Portalis (droit romain) et Jacques de Maleville (droit romain). Leur complémentarité permet d’arriver à une uniformisation des diverses réglementations juridiques et par conséquent à la rédaction d’un droit unique français. Le Code Napoléon concilie les acquis de l’Ancien Régime et de la Révolution : la loi est écrite et clarifiée, afin que chaque citoyen connaisse son droit ; entériner la séparation de l’Etat et de l’Eglise ; la propriété devient individuelle.
Le Code Napoléon contient les lois relatives au droit civil français, ce qui veut dire que son champ d’action s’étend sur de nombreux sujets : le droit des personnes (statut, capacités…), de la famille (filiation, unions, séparations, successions) des biens et de la propriété ainsi que le droit des contrats. Il abolit la famille-clan, possédant un chef et un patrimoine, qui avait l’obligation de prêter assistance et protection à ses membres. On peut noter également la division obligatoire entre les enfants à chaque génération, la suppression du droit d’aînesse. La conception de propriété est entièrement renouvelée, avec la notion des contrats inter-individuels qui correspond bien à l’esprit bourgeois du siècle, classe sociale qui est, au moment de la publication du Code, en pleine expansion. Le code institue l’autorité absolue du père et du propriétaire.
Le Code Napoléon a influencé la juridiction civiliste de nombreux Etats. Il s’agit soit d’une inspiration volontaire, soit d’une imposition forcée par les forces de l’empire napoléonien en Europe mais aussi par l’emprise du système colonial dans le reste du monde. De nombreuses modifications y ont été apportées depuis la IIIème République. Parmi les plus importantes, nous pouvons citer celles corrigeant l’absence de mention des esclaves et des hommes libres de couleur (régis alors par le Code Noir), ou bien encore le statut de mineur pour les femmes mariées : celles-ci devaient complète obéissance à leurs maris, et bénéficiaient d’une reconnaissance juridique très restreinte. Parmi les modifications les plus récentes intervient par exemple celle de la suppression de la fonction de chef de famille en 1970, l’égalité des droits des enfants adultérins avec les enfants du mariage en 2005, l’instauration du consentement mutuel pour le divorce en 1975.
Le Code Napoléon reste, de nos jours, le fondement du droit français. Environ la moitié de ses articles n’ont fait l’objet d’aucune modification depuis leur écriture au tout début du XIXème siècle. Le projet de Bonaparte a fait entrer le droit français dans la modernité et continue de s’adapter, au fur et à mesure de ses actualisations, à l’esprit du temps pour une loi au plus près de chacun.
18 Juil 2021
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Album érotique chinois
Aujourd’hui, la librairie Abraxas vous propose, le temps d’une lecture, un voyage artistique aux confins de l’Orient, à travers l’histoire millénaire de l’Empire du Milieu. L’érotisme, parmi les cultures asiatiques, a toujours occupé une place prépondérante ; l’analyse du traitement de ce thème par les différentes nations et sociétés, qui ont occupé ou occupent toujours ce continent, constitue un témoignage fondamental des mœurs et traditions de ces communautés. Parmi les pays de l’Est, on connaît principalement en premier lieu l’estampe japonaise, mais l’érotisme a été un sujet important de l’histoire culturelle de la Chine.
Nous allons remonter le temps avec l’ouvrage qui est au cœur de cet article. Sa reliure est à l’image de l’intérieur qu’elle occulte au regard : d’une grande élégance, les plats en bois sont recouverts de soies de différentes couleurs brochées selon un motif floral à quatre pétales. Cet album dit en accordéon (leporello), resté anonyme et de datation incertaine (fin XIXème/début XXème siècle), est constitué de douze aquarelles sur soie accompagnées de leurs serpentes. La grande qualité des couleurs, l’extraordinaire raffinement du trait dépeignent des scènes intimes riches d’une profusion de détails. La précision et la délicatesse des motifs, ajoutées à la noblesse de la soie, sont sublimées par le bel état de conservation de l’ensemble comme en témoigne la vivacité des couleurs.
Les eroticas chinois ne sont pas seulement peints. Ces scènes sensuelles ont été l’objet d’une production prolifique alimentée par une grande diversité de matériaux : porcelaine, ivoire, bronze, sculptures sur bois… Elles sont très facilement reconnaissables : les visages et les corps sont lisses et expriment peu de passion, les gestes trahissent détachement et retenue. Les femmes chinoises se reconnaissent à leurs pieds bandés. Aucune représentation est censurée ou sujet à dissimulation, tout est montré, découvert. Il n’est jamais question d’une vision crue du rapport sexuel, celui-ci est présenté selon la philosophie taoiste : beauté et harmonie fusionnant avec la nature.
Les premiers témoignages d’un art érotique dans l’histoire de l’Empire de Chine qui soient parvenus jusqu’à nous sont datés de la dynastie Han (-206 à 220 après J.C.). Il atteint son apogée du Xème au XVIIème siècle, soit durant la dynastie des Ming qui pratiquaient une politique artistique relativement plus libérale. Les diverses formes qu’adopta cet art érotique, qui se développèrent pendant cette période, outre le plaisir esthétique, n’étaient pas de simples outils d’excitation sexuelle, mais servirent aussi de supports pédagogiques pour l’éducation sexuelle des futures mariées et des couples fraîchement unis.
Ces œuvres d’art apportent des renseignements précieux sur la culture de l’ancien empire chinois. L’attention portée aux détails des jardins, des intérieurs et des architectures qui servent de cadre aux représentations de ces scènes intimes, ainsi que les différents styles des vêtements et des coiffures, sont une indéniable mine d’informations permettant de documenter les modes de vie et les coutumes des Chinois au temps des différentes dynasties impériales.
La prise de pouvoir par les communistes en 1949 entraîne la censure et l’interdiction des scènes érotiques, puis un « nettoyage culturel » qui provoque la destruction d’une quantité innombrable d’objets d’arts et d’une tradition qui aura plus duré plus de 2000 ans. Cinquante ans plus tard, on assiste à un regain d’intérêt pour la sexualité au sein de la société chinoise, alors que l’ancien art érotique est encore considéré comme de la pornographie et donc interdit, une dualité qui témoigne bien du malaise de l’actuel gouvernement chinois par rapport à son passé culturel.
A ce titre, le travail de la nouvelle génération artistique chinoise, héritière des événements de la place de Tian’anmen en 1989, est particulièrement équivoque, tel celui du photographe Ren Hang centré sur la représentation du corps nu et de la question du désir. Le sujet des peintures érotiques chinoises fait également l’objet d’expositions en Occident : l’artiste allemand Ferdinand M. Bertholet possède en effet la plus grande collection au monde d’objets d’arts érotiques originaires de Chine. Après le musée Cernuschi en 2006, Hong Kong est la première ville asiatique à accueillir, en 2014, une exposition consacrée à cet héritage condamné par le régime communiste chinois, exposition qui sera peut-être le point de départ, pour la République de Chine, d’une redécouverte de son passé culturel.
Pour aller plus loin :
Ferry-M. Bertholet, Concubines et courtisanes, La femme dans l’art érotique chinois, Actes Sud, 2014
Ferry-M. Bertholet, Les jardins du plaisir. Erotisme et art dans la Chine ancienne, Philippe Rey, 2003
Love, Ren Hang, exposition à la Maison Européenne de la Photographie, 2019