6 Jan 2022
0 CommentsLivres illustrés modernes par François-Louis Schmied et Georges Barbier
Nous sommes dans les premiers jours de la nouvelle année, et avec elle nous accueillons la fin de la période des fêtes. Mais à la librairie Abraxas, c’est Noël toute l’année ! Découvrez ci-dessous les dernières nouveautés pour une sélection spéciale livres illustrés.
Vol de Nuit
Le livre présenté sur l’image ci-dessous fait partie d’un tirage limité à 35 exemplaires imprimés sur vélin en 2014 par Javier Martín Santos. Le fameux texte de Saint-Exupéry constituait initialement le sujet d’un projet de création de l’illustrateur François-Louis Schmied ; cependant, à sa mort en 1941, il n’avait eu le temps de réaliser que 5 aquarelles. Son fils Théo Schmied reprit le flambeau et termina le projet en 1947 ; celui-ci resta inédit jusqu’en 2014, jamais publié. C’est chose faite avec l’éditeur espagnol Javier Martín Santos : ce tirage présente le texte de Saint-Exupéry dans une reliure en demi-peau chagrinée noire, les plats de papier crème illustrés de filets et d’un bandeau bleu nuit traversé par un avion en pleine ascension dans un style typiquement Art Déco. Cet exemplaire, fourni avec son étui, porte le numéro 20 et s’accompagne d’un envoi et d’une esquisse de la main de l’artiste éditeur. Les 29 illustrations en couleurs (dont deux dessins en noir et blanc), parfaits témoignages du style épuré de Théo Schmied, complètent ainsi les aquarelles de son père, dont la patte se révèle plus détaillée. Ce tirage de Vol de Nuit est également augmenté d’un historique de l’édition, et des notices biographiques sur l’auteur et les deux illustrateurs.
Chansons de Tanger
A l’origine, les Chansons de Tanger sont une vingtaine de chants de femmes arabes traduits par Elisabeth Chimenti, traduction destinée à être publiée dans une anthologie sous la direction de Henri Duquaire. Ce dernier en a autorisé la publication pour une édition imprimée en 1939 par François-Louis Schmied au nom de M. Georges Desoubry. A cette occasion, Schmied avait également réalisé 21 illustrations en couleur à la détrempe. Son fils Théo Schmied réalisa la typographie selon la maquette du père. L’exemplaire unique de cette édition a été acquis par la BNF (Bibliothèque Nationale de France) en 1991. En 2013, Javier Martín Santos en réalise un nouveau tirage, un fac-similé limité à 99 exemplaires. L’ouvrage présenté dans l’image ci-dessous est le numéro 40. La traduction originale de Elisabeth Chimenti est augmentée d’un historique et de deux notices biographiques portant sur la traductrice et l’illustrateur, accompagnées de deux portraits photographiques en noir et blanc. Ces derniers ajouts sont également traduits en espagnol ; la traduction espagnole des chants se trouve également en annexe.
La Guirlande des Mois
Peut-être cette appellation vous paraît-elle familière : on retrouve quelques fois ces petits almanachs lors d’une vente, mais il est plus rare de tomber sur la collection intégrale. Nous avons la chance de vous présenter ici les cinq volumes, complets de leur jaquette et étui illustrés à l’exception de l’almanach de la première année 1917. La Guirlande des Mois a été publiée chez Jules Meynial à partir de 1917, en pleine Première Guerre Mondiale, et ce jusqu’à la publication du cinquième almanach en 1921. Cette collection se distingue par le charme et la préciosité de ses reliures, illustrées par des gravures de Georges Barbier imprimées sur soie tissée dans un style Art déco caractéristique des œuvres de l’illustrateur.
Peintre et dessinateur de mode, Barbier a fait carrière au début du XXème siècle. Il exposa régulièrement au Salon des artistes décorateurs. Il travailla souvent pour des revues de mode : le Journal des dames et des modes, la Gazette du Bon Ton, Femina, Vogue France… Il a également fait des incursions dans les mondes du théâtre, du music-hall et du cinéma en étant l’auteur de nombreux décors et costumes : Barbier est à l’origine des costumes portés par Rudolph Valentino dans le film Monsieur Beaucaire réalisé par Sidney Olcott en 1924.
Son style fleuri et printanier, les silhouettes déliées des figures féminines, les entrelacs alambiqués, que l’on retrouve avec la Guirlande des Mois, sont représentatifs du mouvement Art Déco qui était alors à son apogée lors de la publication des almanachs. On retrouve d’ailleurs, dans chacun des volumes, six planches coloriées au pochoir par l’illustrateur. Mais l’élégance de ces images ne constitue pas la seule particularité de la Guirlande des Mois. En effet, parmi les dessins de Barbier et les éléments que l’on peut s’attendre à trouver dans un almanach (calendrier ou feuilles de notes), les volumes de cette collection contiennent également des textes signés de plumes fameuses : Albert Flament, René Boylesve, Gérard d’Houville, Mme de Noailles, Edmond Jaloux…
31 Juil 2023
0 CommentsDerrière le miroir: la chambre d’écho Maeght
Derrière le miroir, DLM pour les intimes, est une revue d’art éditée par Maeght entre 1946 et 1982 pour accompagner les expositions de la Galerie Maeght, cette première est bien connue des amateurs d’art, mais pas seulement. Car s’il est indéniable que l’on y retrouve nombre d’œuvres (dont des lithographies originales) des grands noms de l’art moderne comme Braque, Kandinsky, Mirò ou encore Chagall (pour ne citer qu’eux), on y trouve également des textes, de ces artistes eux-mêmes mais aussi de philosophes, d’écrivains ou encore de poètes (Breton, Beckett, Calvino ainsi que Derrida entre autres).
Pour célébrer un arrivage de plusieurs numéros de cette revue emblématique en librairie, replongeons-nous un peu dans son histoire.
Nous sommes au sortir de la seconde guerre mondiale, une grande partie de la communauté artistique française et étrangère retourne à Paris après s’être réfugiée en zone libre, à Cannes notamment, ou à l’étranger. À leur côté un certain Aimé Maeght se prépare à transformer le milieu de l’art français, à en ouvrir le champ.
Ami de Jean Moulin et de Georges Braque, pupille de la nation et graveur lithographe aguerri, Aimé Maeght possède un mélange rare de pragmatisme économique, de connaissances techniques et d’ambitions artistiques qui vont lui permettre de devenir un nom, pas seulement incontournable de l’art mais aussi de l’édition.
Une fois arrivé à Paris, il ouvre la Galerie Maeght qui se fait immédiatement connaître par une exposition inaugurale sur Matisse (ami proche de la famille Maeght) le 6 décembre 1945. L’année suivante le premier numéro de Derrière le miroir sort pour accompagner « Le Noir est une couleur », une exposition de 25 œuvres inédites où l’on retrouve notamment Bonnard, Matisse, Braque, Van Velde (dont une lithographie fait la couverture) parmi d’autres.
Ce seront 253 numéros sur 36 ans qui sortiront sans interruption pour accompagner les différentes expositions de la galerie.
En partenariat avec Jacques Kober – dirigeant les éditions Pierre à feu, responsable d’expositions à la galerie et à l’origine du titre Derrière le miroir – Maeght veut aller au-delà du simple catalogue d’exposition. Pour ce faire, ils vont appeler à collaborer des auteurs (poètes, philosophes, écrivains…) et inviter les artistes à s’exprimer eux-même sur leur travail, ils vont également ajouter des lithographies originales, ce qui va permettre à cette revue de devenir une véritable chambre d’écho et d’approfondissement des expositions de la galerie.
Ce projet se dessinait déjà dans le « numéro zéro » de Pierre à feu en 1944 : « Ne prennent des masques que ceux qui sont des masques, le piège qui se dresse est aussi simple qu’un miroir, c’est l’attitude d’une conscience. Mais nous plongeons par exemple dans la peinture parce qu’elle est l’ébauche du miroir, d’une déformation qui s’étale ; c’est le spectre, c’est l’image qu’on devra suivre qui monopolise notre œil comme le fait le soleil, c’est l’estime livide d’un désaccord, c’est cette déclaration qu’on écrira, celle du monde victime de cette association verbale. Il n’est pas coûteux de bâtir sa maison mais de l’habiter. Un seul moyen, ouvrir le champ. »
Si l’on dit qu’une image vaut bien mille mots, associons les unes aux autres à l’instar de Maeght et plongeons maintenant dans le numéro 199 dédié à Tal-Coat.
On s’y retrouve saisi autant par son verbe que par sa ligne, dans ce qu’il dit, ce qu’il exprime de ses courbures. On y découvre une voix qui se fait chair de ses tableaux, qui par sa forme de sensualisme rurale donne autant à goûter le froid légèrement salin de la pierre que l’abstraction zen de son regard. On y savoure la spécificité de cette revue, le dialogue qui se créé entre l’artiste, ses œuvres et nous et cela, dans la chaleureuse intimité de son format qui nous caresse, nous flatte le regard par la qualité de ses impressions mise en valeur par sa mise en page aérée.
Écoutons ce que nous dit l’artiste:
Si cela s’applique à son travail cela peut aussi s’appliquer à la revue en elle-même, synthétiser son propos.
Comme nous l’avons déjà mentionné, non contente de faire parler les artistes exposés, la revue va également les faire dialoguer avec d’autres, provenant de pratiques différentes et variées. Pour exemple ce numéro concernant Adami enrichi de réflexions originales d’Italo Calvino.
L’auteur oulipien nous livre ici des fables dans le style d’Ésope (sous forme de prosopopées, le corps et l’ouvrage, « la main et la ligne » ou « les pieds et le dessin », y dialoguent) et inspirées autant des écrits glanés dans le carnet de travail du créateur que de ses impressions face aux œuvres exposées.
En plus de ces précieux apports textuels (parmi lesquels on peut également compter : René Char sur Georges Braque, Samuel Beckett à propos de Bram Van Velde, Tristan Tzara pour Joan Miró, Michel Leiris et Alberto Giacometti, Gaston Bachelard et Marc Chagall…), la revue bénéficie d’une haute qualité d’impression (imprimée en interne dans les ateliers de l’imprimerie ARTE-Adrien Maeght à partir de 1964), lui permettant d’offrir des lithographies originales de très haute fidélité.
Depuis leurs débuts Aimé Maeght et sa famille, ainsi que leurs équipes, ont eu à cœur de travailler pour et avec les artistes dans le but de transmettre au mieux leurs perceptions du monde, que ce soit sur le plan créatif, philosophique ou technique et c’est bien là ce qui en a fait une entité à part dans le monde de l’art et de l’édition du XXème siècle.
Nous vous invitons donc à vous pencher sur ce morceau d’histoire de l’art et d’expérimentation éditoriale, à savourer le confort d’appréciation des œuvres et des textes qui y sont proposés ainsi qu’à vous laisser porter par l’écho d’expositions passées et être saisis par l’intention encore vivace de faire vibrer les arts ensemble pour que toujours il puisse être, vivant.