Pardons de Jean Urvoy

Il y a quelques temps, nous avions eu la chance de voir passer entre les murs de la librairie un recueil de bois gravés de Jean Urvoy consacré aux pardons en Bretagne. Une opportunité rare comme il s’en présente fort peu, car l’édition de ce recueil a été limitée à 100 exemplaires. Et lorsque la chance se présente à nouveau de pouvoir poser les yeux sur la finesse de ces gravures, il serait dommage de ne pas la partager avec vous. L’artiste est également l’auteur des Images de la Rance, parues en 1934, un superbe album où la qualité des pochoirs et la gouache ajoutent une dimension onirique aux paysages bien connus de la vallée de la Rance.

Chaque album, imprimé en 1936 par L’Ouest-Eclair sur papier Montval, numéroté et signé par l’artiste, se compose de 12 bois gravés et d’une préface de Roger Vercel. Récompensé du prix Goncourt pour Capitaine Conan, ce dernier exulte le trait rugueux mais authentique d’Urvoy qui « a délibérément renoncé à évoquer l’aspect profane des Pardons, leurs danses, leurs ripailles de cidre, leurs mendiants romantiques, tout ce qui s’est greffé de parasite sur la splendeur de la Foi. » Le graveur restitue la vérité, dans toute sa simplicité mais aussi toute sa force, des pardons bretons, ces « cérémonies millénaires » qui mêlent processions religieuses et célébrations païennes. En optant pour l’ascétisme de la gravure sur bois, Urvoy saisit le caractère spirituel de son sujet derrière la farandole de couleurs, les festivités joyeuses et l’énergie des danses, avec un style très sculptural, ajoutant de l’expressivité à une description fouillée de la scène.

 


Le recueil que nous vous présentons aujourd’hui se compose, comme les autres exemplaires, des 12 gravures et de la préface de Vercel, protégées par la pochette originale de l’album munie d’un rabat intérieur. Contrairement aux autres, celui-ci n’est pas numéroté car il s’agit de l’exemplaire de l’imprimeur offert par Jean Urvoy et comportant l’envoi suivant :  » à m. Drouadène maître imprimeur, à qui est due la belle présentation de cet album, cet exemplaire, en témoignage de ma profonde reconnaissance, Rennes le 20 février 1936, Jean Urvoy « . Les planches s’accompagnent de trois feuilles de texte, d’une feuille de justification de tirage, d’une table des matières et d’un envoi de l’artiste. Le très bon état de conservation des feuillets, leur intérieur très frais, préservent la beauté unique de ces gravures, images vivaces d’une Bretagne du passé.

Jean Urvoy (1898-1989), originaire du pays de Dinan, compte parmi les peintres et graveurs importants de la scène artistique de Bretagne au XXème siècle. Enseignant de formation, il est appelé et mobilisé sur le front des deux guerres mondiales, une expérience qui le marquera durablement. C’est dans l’entre-deux-guerres qu’il développe un intérêt pour les pratiques artistiques. Autodidacte, il apprend la gouache avec Jean-Charles Contel et la gravure sur les conseils de Gaspard Maillol. Fait prisonnier en 1940, il rapporte d’Allemagne une vingtaine d’aquarelles sur la vie de camp.

Mais c’est entre 1932 et 1938 que Jean Urvoy dédie à la gravure la plus grande part de sa pratique artistique : elle est, pour lui, « l’arme du pauvre, une arme de combat, mais aussi une œuvre plastique, car elle exige simplicité, sobriété, sincérité, esprit d’analyse, et esprit de synthèse ». Il publie les recueils des Chansons du XVIIIème siècle en 1932, les Images de la Rance en 1934 puis les Pardons en 1936. La guerre et son incarcération ont raison de sa passion pour ce médium – il préférera se consacrer à la gouache – qu’il ne reprendra que dans les années 1960.

Profondément attaché à la Bretagne, Urvoy utilise de nombreuses techniques (aquarelle, gouache, gravure…) pour en restituer la beauté, notamment celle des paysages du terroir de Saint-Michel-en-Grève, de la vallée de la Rance et du pays malouin. C’est en 1965 qu’il fonde « Le Groupe des 7 » aux côtés de six artistes (Yves Floc’h, Frank Le Meur, Pierre Rochereau, Claude Marin, Jean Vercel et Francis Guinard), tous, comme lui, bretons, résidant à Dinan et passionnés par la ville et la culture bretonne. Il est particulièrement fasciné par les ciels nuageux, comme il l’écrit à Roger Vercel, son ami et écrivain : « Il fait un temps splendide, le ciel est d’un bleu stupide, j’aime mieux le ciel gris et la tempête. » Exposé à Vannes, Pont-Aven, Quimper, c’est aujourd’hui le musée d’art et d’histoire de Saint-Brieuc qui abrite dans ses collections l’intégralité des bois gravés de Jean Urvoy.

 

 

Pour approfondir l’œuvre de Jean Urvoy et la gravure en Bretagne :