La Bibliothèque de la Pléiade, une collection mythique.

« Votre petit Baudelaire me ravit. C’est une merveille de présentation”, André Gide à Jacques Schiffrin dans une lettre du 23 novembre 1931.

Nous avons récemment eu la chance d’obtenir un lot conséquent d’ouvrages de la Bibliothèque de la Pléiade (environ 300 volumes) ainsi qu’une collection complète des Albums en excellentes conditions. Pour découvrir cette collection et acquérir des volumes c’est ICI.

À cette occasion, plongeons-nous un peu dans l’histoire de cet objet fétiche des éditions Gallimard.

Ce que l’on appelle aujourd’hui couramment « la collection de la Pléiade » c’est presque un millier d’ouvrages (982 ouvrages au 3 Mars 2022 en incluant les albums et l’encyclopédie) et plus de 250 auteurs (hors ouvrages collectifs) publiés sur une période d’un peu plus de 90 ans.

Elle naît de la volonté de Jacques Schiffrin (1892-1950, éditeur et traducteur originaire d’Azerbidjan alors situé dans l’Empire russe) de proposer des œuvres complètes d’auteurs classiques dans un format à la fois pratique et confortable. En effet l’éditeur avait choisi d’adopter un format poche compact (105×170 mm) avec un papier bible opacifié couleur chamois ainsi qu’une couverture en cuir pleine peau souple et dorée à l’or fin, qui permettait, avec son caractère Garamond 9, une bonne lisibilité tout en conservant un nombre impressionnant de pages par ouvrage. Cette charte précise et rigoureuse, pensée pour mêler l’élégance à l’exhaustivité, demeure inchangée depuis sa création.

Il en est de même pour son code couleur, celle-ci dépendant de l’époque à laquelle a vécu son auteur (ou pendant laquelle elle a été produite) : vert antique pour l’antiquité, violet pour le Moyen Âge, corinthe pour le XVIe, rouge vénitien pour le XVIIe, bleu pour le XVIIIe, vert émeraude pour le XIXe et havane pour la littérature du XXe siècle comme on peut le voir ci-dessous (on peut noter quelques exceptions : gris pour les textes de référence des principales religions monothéistes et rouge Churchill pour les anthologies ainsi que des choix ponctuels souvent rectifiés par la suite, comme le noir de la première édition de Saint-Simon).

Les couleurs de la Pléiade : chacune réfère à une période.

C’est donc en 1923 que Jacques Schiffrin créé les Éditions de la Pléiade et c’est en 1931 qu’il entame cette collection singulière au sein de ses éditions et dont nous parlons aujourd’hui avec un premier tome des œuvres de Baudelaire.

L’origine du nom de la maison d’édition, et par conséquent de la bibliothèque, n’est pas clairement défini, par manque d’archives écrites de cette époque. Nous devons ainsi nous contenter de la tradition orale de la maison Gallimard et des proches de Schiffrin.

Si l’on pense évidemment à la constellation et aux poètes français du XVIe siècle, l’appellation aurait une origine plus proche des racines de l’auteur. Et c’est là où les versions divergent, une première voudrait qu’elle soit la transcription du mot russe «pleiada » signifiant «empaqueter», une façon pour Schiffrin de préciser son concept: «Publier le maximum de l’œuvre d’un auteur dans le minimum de volume». Cependant le mot russe pleiada viendrait lui-même du grec et signifierait en russe la même chose qu’en français, c’est-à-dire une référence à la constellation ou au groupe de poètes.

Néanmoins, selon des propos de Simon Schiffrin, son frère directeur de production dans le cinéma et recueillis par Pierre Assouline, « pleiada » en russe voudrait dire « esprit de groupe », et il l’aurait appelé ainsi parce qu’ils étaient « une petite bande de juifs russes exilés à Paris ».

Et d’après André Schiffrin, un de ses fils qui fut lui aussi éditeur aux États-Unis : « Contrairement à ce que l’on croit souvent, ce nom de Pléiade ne venait ni de la mythologie grecque ni de la Renaissance française, mais d’un groupe de classiques russes ». En effet, au départ, faute d’auteurs à sa disposition, Jacques Schiffrin lança une collection de classiques russes – Pouchkine, Gogol, Dostoïevski… – qu’il traduisit lui-même.

Cette diversité de versions semble dessiner une histoire commune empreinte d’un flou mémoriel qui participe à la légende de la collection.

Jacques Shiffrin, 1950. © Archives Éditions Gallimard

Si dès 1931 la collection fait du bruit (elle devra être rachetée par Gallimard en 1933, Schiffrin ne parvenant pas à subvenir à la forte demande des lecteurs), c’est après-guerre qu’elle s’instaurera comme l’édition de référence qu’elle est aujourd’hui.

À partir des années 50 l’appareil critique se développe et s’amplifie, on peut notamment penser à la création de l’« Encyclopédie de la Pléiade » dirigé par Raymond Queneau en 56 et, dans cette continuité, à la création des « Albums », à proprement parler, en 1962, dédié chaque année à un auteur différent (mais aussi parfois à une période spécifique : Les écrivains de la Révolution française en 1989, ou à un focus de la collection : Le livre des mille et une nuits en 2005) et dirigé par un expert reconnu en la matière.

Ces albums, vendus à prix coûtant aux libraires et offerts par ceux-ci aux clients après l’achat de trois pléiades, sont devenus une ressource précieuse et pour les savants et pour les collectionneurs. Tirés en une seule fois à environ 40 000 exemplaires chacun, ils ne peuvent être mis en vente ni réimprimés. Ce qui les rend accessibles à l’achat uniquement sur le marché de la librairie ancienne et d’occasion.

De par le temps et leur succès certains albums sont réputés comme plus rares, à l’exemple de ceux sur Proust (1965), Céline (1977) ou encore Balzac (1962).

C’est donc une véritable aubaine de pouvoir vous proposer à la fois une collection quasi-complète de 61 albums ( à laquelle il ne manque que le livret-disque de 1961 et le dernier album consacré à Kafka) ainsi qu’une soixantaine d’autres albums dépareillés pouvant venir compléter des collections déjà entamées.

Une telle collection ne peut pas exister pendant aussi longtemps sans créer son lot de critiques et d’adulateurs et cela est aussi vrai pour les auteurs qui en font aujourd’hui parties. Par exemple, Céline a vivement insisté pour être publié dans la Pléiade de son vivant, notamment en écrivant une célèbre lettre à Gaston Gallimard en 1956 : « Les vieillards, vous le savez, ont leurs manies. Les miennes sont d’être publié dans la Pléiade (Collection Schiffrin) et édité dans votre collection de poche… Je n’aurai de cesse, vingt fois que je vous le demande. Ne me réfutez pas que votre Conseil, etc. etc… tout alibis, comparses, employés de votre ministère… C’est vous la Décision. »

Tandis que d’autres ayant décliné d’en faire partie de leur vivant s’y sont finalement retrouvés après leur mort comme Henri Michaux qui y entrera en 1998.

Quoi qu’il en soit la Bibliothèque de la Pléiade a su évoluer avec le temps tout en gardant une identité singulière et reconnaissable entre mille, l’instaurant comme un objet incontournable du paysage littéraire français, autant pour les collectionneurs que pour les curieux et ceux-ci pourront se faire allègrement plaisir avec ce stock en excellent état que nous venons de rentrer.