Silence…

Silence, l’ennemi guette vos confidences de Paul Colin, décembre 1939-février 1940.

« Silence, l’ennemi guette vos confidences », « Silence l’ennemi écoute, méfiance l’ennemi ment », « Prudence, silence, l’ennemi écoute », « Sachez vous taire, on sait vous écouter » etc.

Autant de slogans reflétant le climat d’« espionnite » régnant au sein du gouvernement et de l’armée durant la « drôle de guerre », où l’immobilisme des troupes pèsent sur les nerfs des français.

On les retrouvait notamment sur les affiches de l’exposition « Tiens ta langue ! », présentée 101 avenue des Champs Élysées à Paris à partir du 17 mai 1940, où étaient exposés une sélection de productions picturales réalisées en parties par des soldats au sein d’une campagne de propagande du gouvernement de Daladier.

C’est d’ailleurs l’affiche de Paul Colin (réalisée durant cette période) : « Silence, l’ennemi guette vos confidences » qui y sera primée.

Elle illustre en effet parfaitement l’obsession de cette « cinquième colonne » – expression symbolisant l’idée de groupes de partisans infiltrés, et ce parmi les civils généralement, œuvrant ou prêts à le faire de l’intérieur pour déstabiliser l’État – qui règne alors.

On y voit une ombre menaçante occupant une bonne partie de la moitié droite de l’affiche, penchée au niveau de la tête des deux personnages au premier plan, représentés en blanc et contrastant autant avec la forme noire qu’avec le fond bleu nuit.

Ce couple est formé par un civil en chapeau-melon et imperméable et un soldat reconnaissable à son calot militaire, son trench-coat et ses bottes.

Le ton de l’affiche est autoritaire, avec son injonction au silence justifiée par l’omniprésence induite des oreilles espionnes.

Ce sont des éléments que l’on retrouve dans nombres de représentations de l’époque, on observe quasiment la même forme en arrière-plan sur le dessin de Jean Lorac « Silence l’ennemi écoute, méfiance l’ennemi ment » ainsi que le duo civil-militaire sur celui de Jean Laleure « Sachez vous taire, on sait vous écouter » ou encore « L’ennemi a des oreilles… partout » de A. Marvie et l’utilisation de l’ombre dans le dos qui guette, écoute, épie est l’une des plus répandues comme on peut le voir également sur les propositions graphiques de François Blanc ou R.Beltz ici.

On constate cependant la maîtrise de la composition chez Paul Colin, les destinataires du message sont placés au centre et l’ennemi en arrière fond, le sobre choix des couleurs met en valeurs une forme de fragilité de ces premiers tout en créant une atmosphère interlope, entre chiens et loups propices aux « confidences » que l’artiste met symétrie avec le « silence » pour assurer un message à la fois clair et entêtant.

Les contours anguleux des personnages ainsi que du lettrage servent le propos et l’impact de l’ensemble avec efficacité et nous rappellent l’influence art-déco de l’affichiste.

Celui-ci naît en 1892 et grandit dans ce centre de l’Art Nouveau qu’est Nancy à l’époque.

S’il commence à faire ses armes d’artiste-affichiste au début de l’entre-deux guerres, c’est en 1925 qu’il sera pleinement révélé par son affiche pour la Revue Nègre (dont Sidney Bechet faisait partie) et son travail subséquent autour de Joséphine Baker qui en est la star montante et avec qui il aura une relation amoureuse pendant quelques temps.

Il y démontre tout son talent à saisir le mouvement des corps et des expressions condensés dans une certaine forme d’épure.

Il le résume ainsi lui-même : « l’affiche doit être un télégramme adressé à l’esprit ».

 

L’orée de la seconde guerre mondiale l’amène à se positionner politiquement, notamment en montrant son soutien au camp républicain espagnol en produisant une affiche en 1939 où il compare le Paris menacé par Hitler au Madrid conquis par Franco.

C’est également dans ce cadre qu’il signe cette affiche fin 1939-début 1940 du « Silence, l’ennemi… guette vos confidences ».

Il refusera d’ailleurs de travailler pour l’occupant allemand ainsi que pour l’état collaborationniste français et reprendra son travail le 14 août 1944, date à laquelle Paris n’est pas encore libérée, avec sa Marianne aux stigmates destinée à être reproduite en grande quantité afin d’être affichée sur les murs des villes de France.

Ainsi l’affiche que nous vous proposons aujourd’hui est marquante sur plusieurs tableaux, l’historique évidemment, en tant que témoignage flagrant du climat de la fin de la période liminaire de la « drôle de guerre », synthèse graphique des inquiétudes d’une époque et de son gouvernement mais aussi, artistique, en tant que production d’un des plus grands affichistes français du siècle dernier à propos duquel Jean-Paul Crespelle, journaliste et historien d’art important de l’après-guerre, a pu dire : « Plus qu’aucun autre, il aura été le témoin de son temps, au point que, lorsqu’on songe aux grands animateurs de cette époque, son nom vient sous la plume avec ceux de Pablo Picasso, Jean Cocteau, Coco Chanel, André Breton, Paul Morand, Louis Jouvet, Jean Giraudoux, Christian Bérard. ».