Larguez les amarres, voici Gustave Aimard !

« Carte de visite de Gustave Aymard (Aimard), romancier et grand voyageur ». Photographie d’Etienne Carjat (1828-1906). Paris, musée Carnavalet.

« Gustave Aimard, romancier et grand voyageur », on aurait aisément pu y lire : « aventurier ».

Il naît Olivier Aimard le 13 Septembre 1818 à Paris, orphelin adopté, il devient Olivier Gloux à 6 ans. Suite à quelques péripéties, il s’embarque comme matelot à 9 ans, atterrit en Amérique du Sud qu’il remonte jusqu’au Mexique et en Californie. Il aurait été captif d’indiens en Patagonie, « coureur des bois » (entendez trappeur), chercheur d’or et franc-tireur dans la Sonora ainsi que marié à une Comanche dont la tribu l’aurait accueilli pendant 5 années.

De retour en France il se sert de cette matière pour devenir un auteur populaire à succès, se remarie à une chanteuse lyrique, produit de nombreux ouvrages de qualité variable et meurt diagnostiqué, entre autre, de folie des grandeurs dans l’hôpital psychiatrique de Sainte-Anne, au sein de la ville qui l’a vue naître, en 1883.

Si la vie de Gustave Aimard semble bien digne d’un roman, ce n’est pas tout à fait un hasard : la majorité de ces informations nous provenant de ses écrits plus ou moins autobiographiques (principalement Par mer et par terre et en filigrane de toute son œuvre), la véracité de ces éléments reste à prendre avec précaution malgré la confirmation de certains d’entre-eux, dans les quelques travaux de recherches qui lui ont été dédiés (Sur la piste de Gustave Aimard de Jean Bastaire, les articles d’André Pinguet et le n°13 de la revue Le Rocambole qui lui a consacré un dossier de 110 pages sous la direction de Thierry Chevrier).

Nous avons aujourd’hui le plaisir de pouvoir vous proposer une quantité importante de ses œuvres en ligne et dans nos magasins, notamment de nombreux numéros de la collection du « Livre populaire » à 65 centimes publiés par Fayard à partir de 1907. (Re)Plongeons-nous dans cet auteur un peu oublié et pourtant pionnier de la littérature d’aventure sur l’Ouest américain en langue française.

 

Les nuits mexicaines, n°44, 1911, collection « Le Livre populaire » à 65 centimes Fayard.

Ainsi, si l’on peut reconnaître qu’il n’a pas totalement disparu de nos mémoires, sa présence y est-elle à la hauteur de son héritage?

Il faut admette en effet, et déplorer peut-être, le talent inégal parcourant son œuvre, notamment à cause de ses nombreuses répétitions : thématiques, stylistiques, voire de passages entiers (comme avec cet exemple frappant : en 1864 il conserve ses textes originaux pour Amyot et procure à Cadot, un éditeur d’appoint, des textes remplis de réemplois, notamment Les Chasseurs d’abeilles dans L’Araucan, victime de son succès il aurait eu du mal à suivre les demandes des éditeurs)… Ce qui ne l’empêchera pas de devenir un des auteurs populaires marquants du XIXe siècle, par l’imaginaire du Far-West et de l’aventure qu’il a grandement participé à apporter et développer en France.

 

Les chasseurs d’abeilles, n°20, 1909, réédition de Fayard toujours dans la même collection, un des tomes qui servira à l’auto-plagiat de l’auteur.

 

On le retrouve en effet cité par Lautréamont (même si c’est pour l’opposer à ce qu’il considère comme renfermant du « génie ») qui le place aux côtés de Dickens, Hugo et de Landelle (un auteur d’ouvrages maritimes). Il est également présent chez Cendrars qui le cite aux côtés de Bernardin de Saint-Pierre, Wells et Poe comme figures du roman du XIXème siècle et chez Pagnol qui le place au même niveau que Fenimore Cooper (comme source d’inspiration pour ses jeux et créations d’enfants avec son frère Paul dans La Gloire de mon père). Il ne faudrait également pas oublier qu’on lui doit le patronyme et personnage de Valentin Guillois, si cher à Robert Desnos qui l’utilisera même comme pseudonyme pendant la résistance.

 

Le cœur loyal, n°4, 1908, Fayard. Le personnage du Cœur Loyal, introduit dans Les Trappeurs de l’Arkansas, le n°1 de la collection, est une figure récurrente d’Aimard, il forme avec Valentin Guillois une forme de pendant au Bas-de-Cuir de Cooper.

 

Il aura aussi, et peut-être surtout, été l’un des grands inaugurateurs de la figure de l’écrivain aventureux qui deviendra si importante durant la première moitié du XXème siècle. Si nous avons déjà cité Cendrars, on peut aussi penser à Kessel ou encore Jünger mais également, même s’il est peu probable qu’il l’ait lu, à Jack London dont les voyages au Klondike puis au bord du Snark ont rempli nombre de ses livres. Le parallèle est marquant sur plusieurs points : ils sont tous deux orphelins de père ; ont eu une première partie de vie aventureuse marquée par une certaine précarité qui leur a ensuite servie de matière pour une ascension sociale à travers l’écriture et seront révélés par l’apparition de leurs textes dans des journaux ; ils entretiennent également des rapports ambiguës, mais relativement caractéristiques de l’époque, avec l’altérité, y voyant autant de vices que de vertus ; il en est de même pour leur engagement politique qui, s’il est bien présent, est fluctuant et suit le cours de leurs rencontres et expériences, plus que soutenus par un véritable système (libertaire pour Aimard et socialiste pour London, même si chez ce dernier on peut noter une forte prégnance du darwinisme social).

À la différence de London, Aimard n’est pas journaliste mais il parle tout de même parfois de sujets qui lui tiennent à cœur et qui ont été, ou sont, d’actualités, comme avec La Fièvre d’or et Curumilla qui retrace l’aventure du comte Raousset-Boulbon et de sa République de la Sonora en 1852 (à laquelle l’auteur aurait participé) ou la guerre du Mexique, avec Les Gambucinos ci-dessous.

 

Les Gambucinos, n°28, 1910, Fayard. Publié originellement au printemps 1865 dans le périodique Le Musée des familles, en plein guerre du Mexique, l’auteur ouvre le récit par son intention de renseigner sur cet événement qui attirent « les regards des parents et des amis de nos braves soldats ».

Le commandant Delgrès, n°41, 1911, Fayard. Consacré à la figure éponyme du commandant qui se révolta contre le rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe sous l’ordre de Bonaparte, en 1802.

 

À l’instar de ses contemporains, il publie tout d’abord ses textes dans des périodiques : La Tour des Hiboux dans le Journal pour tous en 1856 et Don Diego de Lara dans le Journal du Dimanche en 1857 ;  obtenant le succès en 1858 avec Les Trappeurs de l’Arkansas, ceux-ci sont rapidement repris en volumes par l’éditeur Amyot (Don Diego de Lara l’est sous le nom de Le Chat sauvage dans le recueil Une Vendetta mexicaine, chez Cadot l’autre éditeur d’Aimard à cette époque) puis par Dentu à partir de 1870 avec La Forêt vierge. Ses œuvres seront ensuite rééditées par Fayard en 1907, après un rachat d’une partie des fonds de Dentu qui fait faillite en 1895, cette collection constitue l’ensemble le plus accessible des ouvrages de l’auteur. Elle fait partie de la fameuse série à 65 centimes « Le Livre populaire », initiée par Arthème  Fayard fils en 1905 qui durera jusquà la première guerre mondiale. Toutes les couvertures y sont superbement illustrées par Georges Conrad, collaborateur de nombreux périodiques de l’époque comme le Journal des voyages, Mon Journal ou La Vie illustrée. Il composa également de nombreuses couvertures de romans populaires pour Hachette et Fayard, dont des séries de Jules Lermina, continuateur des Mystères de Paris d’Eugène Sue et du Comte de Monte-Cristo de Dumas entre autres. Fayard ressortira ses aventures découpées et édulcorées en fascicules dans les années 30, à destination d’un public plus jeune et on retrouve Les Trappeurs de l’Arkansas au sein de la Bibliothèque rouge et or à l’orée des années cinquante, même si l’auteur a alors perdu de son aura.

La Fièvre d’or – Curumilla, Amyot, 1860.

Le Souriquet (René de Vitré – Michel Belhumeur), Dentu, 1882.

Le Grand chef des Aucas en fascicules chez Fayard Frères, illustré par Delâtre.

La Forêt vierge, édité ici chez Fayard, n°18 de la collection « Le Livre populaire » à 65 centimes.

Balle-Franche, L’Eclaireur, Les Outlaws du Missouri, Les Chasseurs d’Abeilles, Le Coeur de Pierre, Le Guaranis, Le Montonero, n°16 à 22 d’un lot du n°1 à 22, édité par Arthème Fayard dans les années 30.

Les Trappeurs de l’Arkansas, « Bibliothèque rouge et or », 1951.

 

Nous avons donc pu voir l’apport d’Aimard à la littérature d’aventure et sa place de choix dans les éditions populaires jusqu’à la Grande Guerre, ainsi que l’importance en filigrane de sa postérité, chez les écrivains du début du XXe siècle notamment.

Alors n’hésitez pas à mettre la main sur un de ces ouvrages historiques, qui le sont autant par le fond que par la forme, et embarquez-vous avec ce cœur aventureux de la Lorraine au Mexique en passant par le Brésil et les Caraïbes!

(Nous vous conseillons également, si vous voulez approfondir le sujet: Sur la piste de Gustave Aimard, Trappeur quarante-huitard, de Jean Bastaire, édité par Les Belles Lettres ; cette belle synthèse sur Gallica ainsi que cet article disponible sur openedition.)