6 Mar 2022
Folioscope
Le XIXème siècle n’est pas seulement un des grands moments de la littérature ou un siècle marqué par les turbulences historiques, ce sont aussi de grandes avancées en matière scientifique et technique, telle que la mise en mouvement de l’image et par extension la naissance du cinéma. Ces développements se retrouvent également dans les jouets pour enfants de cette époque, jouant sur la perception visuelle et les illusions optiques.
De nombreux objets ont ainsi été inventés pour l’émerveillement des plus jeunes et le divertissement des plus adultes. A ce titre, on peut citer le phénakistiscope, un disque sur lequel la séquence du mouvement est décomposée en plusieurs images fixes, et que l’action rotative de l’objet permet d’animer.
Le praxinoscope, une version améliorée du zootrope, reprend le principe d’une bande de douze dessins disposés en cercle, cette bande étant placée dans un tambour tournant autour d’un axe central. Le praxinoscope se différencie du zootrope par l’ajout de miroirs à l’intérieur du tambour, reflétant les dessins. Le jeu optique est obtenu par la rotation du tambour et l’effet réfléchissant des miroirs.
A ce titre, nous pouvons également citer le thaumatrope, un jouet optique basé sur le phénomène de la persistance rétinienne : une image rémanente sur la rétine. L’illusion d’optique est créée par un dispositif très simple : un disque maintenu par une ficelle qui, lorsqu’il est tourné de manière suffisamment rapide, permet de créer l’illusion par la superposition des images ou dessins figurant sur les deux faces du disque.
Enfin, nous ne pouvons pas parler de jouets optiques sans aborder le sujet du folioscope, autrement appelé flipbook. Il s’agit d’un petit cahier de dessins ou de photographies qui, feuilleté rapidement, crée l’illusion que le sujet représenté est en mouvement.
Apparu à la suite du mouvement des inventions de jouets optiques au XIXème siècle et de la naissance du précinéma, le folioscope n’est pas tombé en désuétude et continue d’être un médium investi, comme le montre la collection « 1868 – Le Folioscope » éditée par la maison Le pouce et l’index en 2003.
Le lot que vous pouvez voir sur la photo ci-dessous contient la quasi-intégralité de la collection, à l’exception du n°13 sur les Shadoks. Les 26 flipbooks disponibles chez Abraxas présentent un état neuf, puisqu’ils sont encore recouverts de leur blister d’origine. Cette collection rare et atypique porte sur plusieurs thématiques : on retrouve ainsi de grands moments de cinéma (la danse serpentine de Loie Fuller, Kirikou et la Sorcière, In the Mood for Love, les Vacances de Monsieur Hulot…), des références à l’histoire de l’art du XXème siècle (Henri Matisse, Salvador Dali…), des grands moments de l’histoire du siècle dernier (la chute du mur de Berlin, le premier Homme sur la Lune, Landru et son geôlier, Mai 1968…). Quoi de mieux qu’un jouet optique pour redécouvrir les moments marquants du siècle qui a vu se développer et se moderniser le cinéma ?
31 Juil 2023
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Derrière le miroir: la chambre d’écho Maeght
Derrière le miroir, DLM pour les intimes, est une revue d’art éditée par Maeght entre 1946 et 1982 pour accompagner les expositions de la Galerie Maeght, cette première est bien connue des amateurs d’art, mais pas seulement. Car s’il est indéniable que l’on y retrouve nombre d’œuvres (dont des lithographies originales) des grands noms de l’art moderne comme Braque, Kandinsky, Mirò ou encore Chagall (pour ne citer qu’eux), on y trouve également des textes, de ces artistes eux-mêmes mais aussi de philosophes, d’écrivains ou encore de poètes (Breton, Beckett, Calvino ainsi que Derrida entre autres).
Pour célébrer un arrivage de plusieurs numéros de cette revue emblématique en librairie, replongeons-nous un peu dans son histoire.
Nous sommes au sortir de la seconde guerre mondiale, une grande partie de la communauté artistique française et étrangère retourne à Paris après s’être réfugiée en zone libre, à Cannes notamment, ou à l’étranger. À leur côté un certain Aimé Maeght se prépare à transformer le milieu de l’art français, à en ouvrir le champ.
Ami de Jean Moulin et de Georges Braque, pupille de la nation et graveur lithographe aguerri, Aimé Maeght possède un mélange rare de pragmatisme économique, de connaissances techniques et d’ambitions artistiques qui vont lui permettre de devenir un nom, pas seulement incontournable de l’art mais aussi de l’édition.
Aimé Maeght dans son bureau (année inconnu).
Une fois arrivé à Paris, il ouvre la Galerie Maeght qui se fait immédiatement connaître par une exposition inaugurale sur Matisse (ami proche de la famille Maeght) le 6 décembre 1945. L’année suivante le premier numéro de Derrière le miroir sort pour accompagner « Le Noir est une couleur », une exposition de 25 œuvres inédites où l’on retrouve notamment Bonnard, Matisse, Braque, Van Velde (dont une lithographie fait la couverture) parmi d’autres.
Ce seront 253 numéros sur 36 ans qui sortiront sans interruption pour accompagner les différentes expositions de la galerie.
En partenariat avec Jacques Kober – dirigeant les éditions Pierre à feu, responsable d’expositions à la galerie et à l’origine du titre Derrière le miroir – Maeght veut aller au-delà du simple catalogue d’exposition. Pour ce faire, ils vont appeler à collaborer des auteurs (poètes, philosophes, écrivains…) et inviter les artistes à s’exprimer eux-même sur leur travail, ils vont également ajouter des lithographies originales, ce qui va permettre à cette revue de devenir une véritable chambre d’écho et d’approfondissement des expositions de la galerie.
Ce projet se dessinait déjà dans le « numéro zéro » de Pierre à feu en 1944 : « Ne prennent des masques que ceux qui sont des masques, le piège qui se dresse est aussi simple qu’un miroir, c’est l’attitude d’une conscience. Mais nous plongeons par exemple dans la peinture parce qu’elle est l’ébauche du miroir, d’une déformation qui s’étale ; c’est le spectre, c’est l’image qu’on devra suivre qui monopolise notre œil comme le fait le soleil, c’est l’estime livide d’un désaccord, c’est cette déclaration qu’on écrira, celle du monde victime de cette association verbale. Il n’est pas coûteux de bâtir sa maison mais de l’habiter. Un seul moyen, ouvrir le champ. »
Si l’on dit qu’une image vaut bien mille mots, associons les unes aux autres à l’instar de Maeght et plongeons maintenant dans le numéro 199 dédié à Tal-Coat.
Appréciez la composition où le texte et le trait se mêlent…
On s’y retrouve saisi autant par son verbe que par sa ligne, dans ce qu’il dit, ce qu’il exprime de ses courbures. On y découvre une voix qui se fait chair de ses tableaux, qui par sa forme de sensualisme rurale donne autant à goûter le froid légèrement salin de la pierre que l’abstraction zen de son regard. On y savoure la spécificité de cette revue, le dialogue qui se créé entre l’artiste, ses œuvres et nous et cela, dans la chaleureuse intimité de son format qui nous caresse, nous flatte le regard par la qualité de ses impressions mise en valeur par sa mise en page aérée.
… se tissent …
Écoutons ce que nous dit l’artiste:
Si cela s’applique à son travail cela peut aussi s’appliquer à la revue en elle-même, synthétiser son propos.
… et se répondent.
Comme nous l’avons déjà mentionné, non contente de faire parler les artistes exposés, la revue va également les faire dialoguer avec d’autres, provenant de pratiques différentes et variées. Pour exemple ce numéro concernant Adami enrichi de réflexions originales d’Italo Calvino.
L’auteur oulipien nous livre ici des fables dans le style d’Ésope (sous forme de prosopopées, le corps et l’ouvrage, « la main et la ligne » ou « les pieds et le dessin », y dialoguent) et inspirées autant des écrits glanés dans le carnet de travail du créateur que de ses impressions face aux œuvres exposées.
Derrière le miroir n° 239 (mai 1980) portant sur Adami avec des textes d’Italo Calvino.
À gauche, on peut voir le dernier feuillet du texte en sa langue originale, à droite la première fable « La main et la ligne » traduite par Danièle Sallenave. Observer l’encadré à gauche du texte, on y trouve un extrait original du carnet de notes d’Adami, duquel l’auteur s’inspire pour le sien.
Et l’on y admire toujours les œuvres originales qui nous y sont proposés.
En plus de ces précieux apports textuels (parmi lesquels on peut également compter : René Char sur Georges Braque, Samuel Beckett à propos de Bram Van Velde, Tristan Tzara pour Joan Miró, Michel Leiris et Alberto Giacometti, Gaston Bachelard et Marc Chagall…), la revue bénéficie d’une haute qualité d’impression (imprimée en interne dans les ateliers de l’imprimerie ARTE-Adrien Maeght à partir de 1964), lui permettant d’offrir des lithographies originales de très haute fidélité.
Depuis leurs débuts Aimé Maeght et sa famille, ainsi que leurs équipes, ont eu à cœur de travailler pour et avec les artistes dans le but de transmettre au mieux leurs perceptions du monde, que ce soit sur le plan créatif, philosophique ou technique et c’est bien là ce qui en a fait une entité à part dans le monde de l’art et de l’édition du XXème siècle.
Nous vous invitons donc à vous pencher sur ce morceau d’histoire de l’art et d’expérimentation éditoriale, à savourer le confort d’appréciation des œuvres et des textes qui y sont proposés ainsi qu’à vous laisser porter par l’écho d’expositions passées et être saisis par l’intention encore vivace de faire vibrer les arts ensemble pour que toujours il puisse être, vivant.