J’ai lu leur aventure : histoire de l’édition et récit de l’histoire.

Numéros A211, A138/139, A140/141, A26, A124, de la collection Leur Aventure, des éditions J’ai lu.

Feux du ciel, Pilote de Stuka, La fin de Hitler, Le procès de Nuremberg, autant de titres évocateurs qui firent le succès de cette collection singulière des éditions J’ai Lu : J’ai lu leur aventure. En raison de son succès et de l’absence de rééditions on la trouve aujourd’hui exclusivement dans le circuit de l’occasion et nous venons d’en acquérir un beau stock. À cette occasion, revenons un peu sur l’origine et le succès de cette série.

Publiée de 1962 à 1972 avec 146 titres, elle se spécialise dans la ré-édition de témoignages et de récits historiques autour de la seconde guerre mondiale en format poche (avec de rares exceptions dont La Nuit du Titanic de Walter Lord en 1963 (A45)) .

 

 

C’est Frédéric Ditis qui créé cette maison d’édition en 1958, à la demande d’Henri Flammarion, pour concurrencer Le livre de poche, société fondée en 1953 par Henri Filipacchi avec l’aide de Gallimard et Grasset entre autres.

Son objectif : s’installer directement dans les supermarchés, nommément Monoprix et Prisunic, pour toucher un lectorat plus large en cette période d’essor économique que sont les Trentes Glorieuses et pour ce faire proposer des auteurs et des thèmes populaires comme Guy des Cars, la seconde guerre mondiale, l’espionnage mais aussi l’ésotérisme et la science-fiction.

Cela se manifestera notamment par la création de collections iconiques et reconnaissables, Leur aventure donc, en bleu, et L’Aventure aujourd’hui (1969), en rouge, pour la guerre et l’espionnage ainsi que L’Aventure mystérieuse (1968), en rouge-grenat, pour l’ésotérisme, le surnaturel et l’inexpliqué, cette dernière connue également un succès considérable durant les années 1970 et il n’est pas rare d’en trouver en librairies d’occasions (nous en proposons d’ailleurs un bon nombre dans nos boutiques).

Les libraires de l’époque apprécient peu cette stratégie commerciale et se sentent menacés par les grandes surfaces. Elles se retrouvent cependant amenés à leur emboîté le pas et inclure cette maison au sein de leurs boutiques face au succès public retentissant.

Leur aventure participa grandement à cette réussite et ce, très probablement, aussi grâce à son identité graphique facilement reconnaissable avec sa couleur bleue, comme nous l’avons déjà mentionné, mais aussi ses couvertures pour la plupart réalisées par Antonio Parras (qui s’occupa également de la majeure partie des numéros de L’Aventure aujourd’hui).

Celui-ci illustra également plusieurs tomes des romans Bob Morane (pour la Librairie des Champs-ÉlyséesÉditions du Masque aujourd’hui), héros populaire crée en 1953 par Henri Vernes, ce personnage totalise aujourd’hui 227 romans et 87 bandes-dessinées.

Et ce n’est pas vraiment un hasard si l’on retrouve Parras à cet endroit, l’aventurier éponyme de la série compte parmi ses inspirations des hommes bien réels comme le pilote d’avion Pierre Clostermann qui vit deux de ses plus grands récit-témoignages, Le Grand Cirque et Feux du Ciel réédités dans la collection qui nous concerne aujourd’hui.

 

A140/141 – Sorge l’espion du siècle, de H.H Korst, illustration d’Antonio Parras. On reconnaît bien le style assez pulp-noir de l’artiste ici avec ce visage dominant l’arrière-plan, illustrant l’espion dissimulé et son ambivalence, ainsi que la rue et son officier également contrasté. L’ensemble respire l’intrigue, l’exotisme et le danger sourd associé à l’espionnage.

 

Parras est également le dessinateur derrière Les Inoxydables et Le Lièvre de Mars, deux séries de bandes-dessinées naviguant aussi dans les domaines du pulp-noir et de l’espionnage.

Ainsi la collection va participer à la popularisation et à la diffusion d’un imaginaire à la fois divertissant et informatif, certainement nécessaire pour appréhender le traumatisme majeur de la seconde guerre mondiale, une génération plus tard. Mêlant le témoignage et le récit, avec des ouvrages de pilotes notamment : ceux de Pierre Clostermann cités précédemment ou les Carnets de René Mouchotte mais aussi Pilote de Stuka de Hans-Ulrich Rudel, mémoires d’un pilote et dignitaire SS ; à des travaux historiques comme ceux d’Henri Amouroux (La Vie des Français sous l’occupation) historien aujourd’hui controversé mais qui participa à un important recueil de témoignages de l’époque – Leur aventure va venir répondre à un désir conjoint de savoir et de fantasme pour les générations à venir.

Pour exemple, La fin de Hitler de Gerhard Boldt (1968), originellement publié en France aux éditions Corrêa en 1949, narre les derniers mois du dictateur et de son commandement dans le « Führerbunker » de Berlin, du point de vue du jeune officier qui nous lègue ici son témoignage.

A26 – La fin de Hitler de Gerhard Boldt, on peut remarquer l’efficacité de la couverture toujours signée Parras.

Le récit est à la fois factuel et fournis en détails militaires mais également foisonnant de remarques personnelles sur les différents hauts-responsables du régime nazi: la fidélité fanatique et sans faille de Goebbels et sa famille, le déclin de Goering, la main-mise spirituelle mêlée d’adoration religieuse de Bormann sur le Fürher, etc. L’auteur quitte cependant le bunker peu avant le suicide d’Hitler et nous laisse imaginer cet acte final, annoncé par le titre et connu de tous.

S’il n’est pas un témoignage de référence incontournable aujourd’hui, il demeure cependant une pierre angulaire de la construction de l’imaginaire de l’époque autour de cet évènement, pour preuve sa mention au scénario du film Les dix derniers jours d’Hitler d’Ennio de Concini en 1973, que l’on peut mettre en parallèle avec le best-seller Les Derniers Jours d’Hitler de Joachim Fest publié en 2002 qui inspira à son tour La Chute de Oliver Hirschbiegel en 2004.

 

Force est de constater que J’ai lu leur aventure s’inscrit assez bien dans l’évolution du secteur culturel en général et du livre précisément vers ce que l’on appelle aujourd’hui la « pop-culture » (dont on peut retracer l’origine à l’essor des romans-feuilletons et populaires dans la presse du 19ème siècle dans des journaux comme Le Petit Journal), l’adaptation dans un format plus abordable, le poche, de succès établis et diffusés à grande échelle, et particulièrement dans les grandes surfaces, permettant de toucher un très large public en jouant sur l’intérêt à la fois déjà présent et relancé par la communication (J’ai lu semble être d’ailleurs le précurseur de la PLV : Publicité sur Lieu de Vente, avec l’apparition de coffrets et présentoirs en magasin).

Même si l’on peut reprocher à la maison d’édition un certain passage en force, notamment vis-à-vis des libraires, on ne peut pas nier que cela aura aussi permis de créer un imaginaire collectif et populaire faisant de cette collection un objet d’histoire et de nostalgie intéressant, si ce n’est remarquable.

A211 – Traître par devoir de Per Hansson, couverture où l’on retrouve des éléments similaire à celle de Sorge l’espion du siècle mais avec une composition différente, plus dans l’action renvoyant au titre davantage concerné par l’aspect moral qu’iconique de l’espion.