Paul Féval : Le « Jean Ray breton »

La comparaison pourrait surprendre, et pourtant, il existe de nombreuses similitudes entre le mathurin de Gand et le monarchiste de Rennes : même prédilection appuyée pour les romans-feuilletons, même talent à produire des récits fantastiques singuliers et, hélas, mêmes opinions politiques douteuses, aux franges de la droite extrême royaliste. Il est vrai que le plus grand des auteurs fantastiques de ces cent dernières années, H.P Lovecraft (de l’avis d’une majorité de critiques et de lecteurs), ne brillait pas, lui non plus, par son progressisme et sa largeur d’esprit, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir une plume sublime.

Autant en dira-t-on de Jean Ray et de Paul Féval ! Mais, de manière saisissante, c’est précisément leur hargne réactionnaire qui insuffla une intéressante vigueur  à leurs publications, en les colorant d’un ton original, à défaut d’être avenant. Fort heureusement, s’agissant du domaine fantastique, ce trait déplaisant ne transparait guère –  ou bien est replacé dans le contexte de l’époque (à l’instar des écrits de Lovecraft).

L’on appréciera la virtuosité d’écriture de Paul Féval par cet extrait, qui justifie pleinement sa filiation avec Jean Ray (lequel, par un curieux hasard, est né exactement la même année que celle du décès de Mr. Féval) :

« Auprès de l’église était un cimetière dont les tombes étaient toutes blanches. Il y en avait deux qui semblaient jumelles. De chacune de ces tombes […] un bras sortait, sculpté en une matière plus blanche que le marbre. Les deux bras allaient l’un vers l’autre et se donnaient une poignée de main. Elle ne savait pas bien, dans son rêve, pourquoi la vue de ces deux sépultures la faisait frissonner et pleurer amèrement. Elle voulait lire les inscriptions gravées sur les tables de marbre, mais c’était chose impossible. Les caractères se mêlaient ou fuyaient devant son regard. […] La nuit se fit, à laquelle succéda une lueur phosphorescente qui rendit livides autour de l’amphithéâtre tous les visages des spectateurs. La foudre éclata dans le lointain, et l’on entendit le vent qui gémissait de toute part. La musique grinça. Une énorme araignée, qui avait le corps d’un homme et des ailes de chauve-souris, se mit à descendre le long d’un fil qui partait des frises et s’allongeait sous son poids. »

Paul Féval, La Ville-Vampire

 

Assurément l’on nage ici en plein roman gothique, à mi-chemin entre les contes de Karen Blixen et les œuvres de Bram Stoker et de Sheridan Le Fanu. Les similitudes avec la prose de Jean Ray sont également évidentes, notamment celle que l’on peut lire dans les « Contes du Whisky » et le « Livre des Fantômes ». Bien que Paul Féval soit principalement connu pour ses textes dit « classiques » comme « Le Bossu », il mérite néanmoins une place de choix au panthéon des auteurs fantastiques français, entre Théophile Gautier et Maupassant (qui privilégiait certes les romans réalistes, mais restera à jamais le père du « Horla »). Sa « trilogie des vampires », composée de 1) « La Vampire » (1856), 2) « Le Chevalier Ténèbre » (1860) et 3) «La Ville-Vampire » (1867), a tout pour être culte et fait partie en tout cas des textes fondateurs de la littérature d’épouvante. Il est donc intéressant, à plus d’un titre, de découvrir cette facette aussi troublante que méconnue de Paul Féval.

 

La librairie Abraxas-Libris propose à la vente un large choix d’œuvres de Paul Féval, notamment « La Ville-Vampire », qui demeure sans doute le chef-d’œuvre de son auteur. A consommer sans modération !