Le mal Aymé, pourquoi ne lit-on plus Marcel ?

 

Dans le cadre de notre concours de lecture à voix haute nous vous proposons de revisiter des textes de Marcel Aymé et de les enregistrer pour avoir la chance de gagner un bon d’achat dans nos boutiques!

Ce concours se déroulera du 5 au 18 Juin au sein de la librairie Abraxas-Libris et proposera trois catégories: enfants, adolescents et adultes.

Nous en profitons pour revenir sur cet auteur populaire majeur du 20ème siècle, aujourd’hui un peu oublié et boudé par les lecteurs.

Marcel Aymé, en 1929.

« Petit provincial cornichon, pas plus doué pour les lettres que ne l’étaient alors les dix mille garçons de mon âge, n’ayant seulement jamais été premier en composition française (…) je n’avais même pas ces fortes admirations qui auraient pu m’entraîner dans un sillage. »

Aymé, par Pol Vandromme, éd. Gallimard, 1960

Alors, pourquoi ne lit-on plus Marcel Aymé?

Il a pourtant utilisé le parler populaire et l’argot comme a pu le faire Céline, francisé des emprunts de l’anglais comme Queneau et Vian, a vu nombre de ses œuvres adaptées au cinéma en des films, pour certains, devenus cultes comme La traversée de Paris (comment oublier le : « Janvier, Jaaaanvier, Jaaaaaaanvier! » de Gabin), Uranus (réalisé par Claude Berri et au casting impressionnant: Depardieu, Blanc, Prévost, Marielle, Noiret, Galabru, Luchini…) ou encore La jument verte, qui aurait déclenché un scandale lors de sa sortie; ses Contes du chat perché ont été étudiés maintes fois par plus d’une génération d’écoliers et d’écolières, et bien que boudé par la critique il eut toujours un grand succès populaire, mais quoi alors ?

Est-ce à cause de son amitié avec Céline et Brasillach qu’il tenta en vain de gracier ?

Du fait qu’il ait continué à publier dans des journaux collaborationnistes, même si c’était des articles d’art ou des histoires ?

Que dans Uranus il humanise et pose la question morale de « l’épuration » d’après-guerre sans se ranger du côté de la vindicte ?

Que d’homme de lettres de « gauche » avant la guerre, il devienne de « droite » et soit définit plus tard comme « anarchiste de droite » ?

En un mot, serait-ce un oubli politique, plus ou moins orchestré ?

Peut-être, un peu.

Mais pas seulement. On ne peut que conjecturer sur un tel sujet mais une autre raison semble se dessiner.

Aymé était un homme silencieux, du moins c’est ce que les gens qui ne le connaissent pas disent, ironise-t-il dans une interview donné à la télévision canadienne en 1958 (https://www.youtube.com/watch?v=aHV5EzqqT8c).

D’extraction populaire et provinciale, éduqué par ses grand-parents à la mort de sa mère quand il avait deux ans, il garda un fort attachement à son origine franc-comtoise tout en devenant une figure très parisienne.

Considéré parfois comme moraliste, un de ses principaux sujets d’études se situe dans les mœurs, qu’elles soient bourgeoises et hypocrites ou rurales et dures (et tout ce qui se situe entre les deux), il y déploie des critiques grinçantes et ambigües, dans Uranus déjà cité, mais également La Tête des autres (plaidoyer en forme de pièce de théâtre contre la peine de mort) ou encore La Vouivre.

Marcel Aymé est en effet un auteur protéiforme, écrivant à la fois contes, récits fantastiques (il ne faudrait pas oublier Le Passe-muraille, une de ses œuvres qui a peut-être le mieux survécu à la postérité), romans, nouvelles et pièces de théâtres (Clérambard, un autre succès populaire), sans compter sa participation plus ou moins active à l’adaptation de ses textes au cinéma.

Moins formaliste que les auteurs cités précédemment, avec une écriture de la ruralité qui ne penche pas vers le sensualisme d’un Giono ou la truculence d’un Pagnol, il fût néanmoins un des grands auteurs satirique et grinçant de son temps (on pourrait penser à Travelingue par exemple, dans lequel il se joue des snobs du milieu du cinéma s’extasiant plus devant l’image potentielle, pour ne pas dire le plan, de l’ouvrier solitaire jouant de l’harmonica que sur sa condition réelle).

Il se pourrait que ce soit là un des facteurs essentiels de ce relatif oubli, de cette perte de popularité, il aura été une pleine figure de son temps, faisant la jonction entre une société rurale très codifiée et celle plus moderne de la capitale de l’entre-deux guerre et de l’après. N’ayant pas une personnalité et une vie pleine d’aventures comme un Kessel ou un Vian, s’étant abstenu des interviews et lieux de publicités contemporaines, il est ainsi devenu un nom, familier, mais un peu flou, sur lequel on tombe de temps en temps sans plus s’attarder.

On peut aussi s’imaginer que sa grande popularité en dépit d’un bon accueil critique ait pu le classer comme un écrivain uniquement populaire et de fait de peu d’intérêt pour la postérité…

Cependant si l’on s’y arrête un moment, on se rend vite compte qu’il y a une certaine richesse en dessous et qu’il est plus présent dans notre imaginaire qu’on ne l’aurait cru.

Saviez-vous qu’il avait refusé la légion d’honneur, suite au vitriol qu’il avait pu subir dans l’immédiat après-guerre, et qu’il avait également décliné la proposition pour sa candidature à l’Académie française, pourtant proférée publiquement par François Mauriac ?

Trop de droite mais pas assez pour être utilisé par les polémistes contemporains, trop populaire mais trop peu flamboyant ou formaliste pour nourrir les anecdotes bien senties de la mondanité et l’ego de la critique, nous pourrions continuer ainsi encore quelques temps, mais il n’est pas question ici de réhabiliter ou de désavouer l’auteur, nous vous invitons plutôt à vous y intéresser, que ce soit à travers les ouvrages que nous proposons, les adaptations filmiques de ses œuvres ou encore, pourquoi pas, à travers l’album que la Pléiade lui a consacré en 2001 ?