« Le Livre-Échange », histoire du livre voyageur

Boîtes à livres, livres voyageurs, bibliothèques itinérantes… Autant de systèmes contemporains permettant de faire vivre la lecture au-delà de sa ville ou de son village. Il y a 150 ans déjà, un amoureux des livres mettait en place un mode de « location » de livres à travers les grandes villes françaises. Nous vous en disons plus dans cet article sur le Livre-Échange !

Au Bonheur des Dames d’Émile Zola

Le livre-échangisme

Cette histoire commence au début des années 1880. M. Étienne Molles-Puyredon, représentant en commerce de la célèbre manufacture d’orfèvrerie Christofle passe alors de longs moments dans les trains pour prospecter d’une ville à l’autre de France et de Belgique. Féru de lecture, il aime faire passer le temps du voyage en lisant des romans populaires. Malheureusement les livres coûtent assez chers et les solutions de prêt ne sont pas des plus satisfaisantes. En effet, les bibliothèques municipales existent, mais sont plutôt réservées à l’érudition. Et quand bien même elles proposent des romans pour se divertir, l’offre est généralement très limitée localement.

« Dans leur existence mouvementée, les voyageurs de commerce se voient malheureusement obligés de négliger toute étude sérieuse […] ; ceux d’entre eux, en très petit nombre, qui se forment une bibliothèque, ne peuvent en emporter les volumes dans leur malle. […]

Et le soir, en regagnant sa chambre froide et nue, est-ce que le voyageur de commerce ne demande pas à un camarade s’il n’a pas un livre à échanger? »

C’est alors que M. Molles-Puyredon a l’idée d’organiser un réseau de lecture à travers les grandes villes de France au service des personnes en itinérance – les voyageurs de commerce. Il s’associe tout d’abord à des hôtels en leur proposant d’installer une bibliothèque dédiée dans leur établissement. Chaque lecteur souhaitant acquérir un livre doit débourser 3,50 francs. S’il souhaite simplement échanger un livre, il ne paie plus que 50 cts à l’hôtelier-libraire. La recette des ventes servent à renouveler les livres vendus et rémunérer les établissements formant le réseau.

Page de présentation du Livre-Échange et liste des bibliothèques et villes intégrant le réseau.

Rapidement, la formule gagne en succès, notamment grâce à un renouvellement continu des fonds, un dispositif simple d’accès (pas d’inscription nécessaire) et surtout peu coûteux. On voit alors fleurir les dépôts, dans les hôtels d’abords, puis via les professionnels du livre qui s’emparent du système: kiosquiers, libraires, éditeurs ou même imprimeurs. Ainsi le nombre de dépôts en hôtel atteindra les 450 à son apogée . Le public visé -en premier lieu les professionnels nomades de province s’élargit au grand public (de plus en plus parisien) ; le Livre-Échange intègre de la publicité pour financer son organisation.

La locomotive, logo du livre voyageur

L’inventeur du système de location, M. Molles-Puyredon qui souhaitait garder le contrôle sur son projet se voit peu à peu dépassé par l’ampleur du succès. Il sera même copié par la suite -preuve ultime de l’intelligence de son idée. Voici par exemple un descendant direct du « Livre-Échange »: le « Roman-Réclame ». Dès le titre on comprend que la ligne éditoriale n’est pas tout à fait la même, bien que le principe reste lui, identique. Les romans sélectionnés sont censés attirer les populations n’ayant pas l’habitude de lire et le financement -ouvertement revendiqué, se fait à coup de nombreuses pages de publicité (près de 200 dans notre exemplaire!).

Société des Bibliothèques du Roman-Réclame
« de 16 »

Aujourd’hui on peu retrouver l’esprit du Livre-Échange de Molles-Puyredon dans de nombreuses initiatives, comme le Book-Crossing, qui fait voyager les livres dans le monde entier gratuitement.

Retrouvez l’histoire complète du Livre-Échange dans cet ouvrage: Bernard Grelle, Noë Richter, Edmond Thomas « Les réseaux échangistes ». Bernay, Société d’Histoire de la Lecture, 2007 (2e édition)