18 Juin 2017
La Collection Patrie, une plongée dans l’histoire… et la propagande de guerre
Nous nous replongeons cette semaine dans une période sombre de l’Histoire : les guerres mondiales. Avec cependant un élan irrépressible de patriotisme et d’admiration pour nos héros tombés au combat pour l’amour de la « Patrie ». Vous l’aurez deviné, le sujet de ce papier porte sur la littérature populaire et la propagande de guerre au travers de la fameuse Collection Patrie, des Editions Rouff. Un hommage aux anciens combattants doublé d’un amour déraisonné de la nation. Aux armes, et caetera!
Collection Patrie, caractéristiques
C’est en février 1917 que le premier numéro de la série voit le jour, sous l’impulsion de l’éditeur Frédéric Rouff (fils du fondateur de la maison d’édition Jules Rouff). Sa ligne éditoriale : raconter chaque semaine un fait de guerre réel, de façon plus ou moins romancée. Chaque épisode se concentre sur un conflit toujours en cours ou bien résolu et met en avant un personnage (Général Leclerc, Satanas), une action action collective (« Clandestins contre Gestapo« , téléphonistes) ou un lieu (Belfort, Tokio, Corse). Le tout en glorifiant l’action de l’armée française et en diabolisant l’ennemi absolu d’outre-Rhin (« L’espionnage Boche en Suisse« ).
Les épisodes paraissent donc à une fréquence hebdomadaire sous la forme de fascicules de 24 pages, d’environ 15 x 20 cm et au dos agrafé. Une particularité séduisante pour les lecteurs de l’époque : la couverture invariablement illustrée et en couleurs représentant des hommes et des engins militaires au cœur de l’action! Parfois, quelques illustrations en noir et blanc se glissent même dans le texte. Etant données les restrictions ayant cours durant ces périodes de guerre, les tirages originaux souffrent d’une impression de mauvaise qualité. En effet, le papier et a fortiori le bon papier se fait rare et la littérature populaire n’est pas prioritaire sur la liste des industries demandeuses de papier. C’est pourquoi la Collection Patrie fait -dès que cela est possible, l’objet de nombreuses réimpressions. Le succès populaire est au rendez-vous et même le passage de son prix de 10 à 30 centimes ne décourage pas le lecteur, friand de ces histoires ô combien d’actualité alors.
La collection paraîtra en 4 séries entre 1917 et 1951, regroupant en tout près de 300 épisodes :
- La première série de 154 fascicules de 1917 à 1920, retrace les débuts de la GMI.
- La deuxième série de 10 fascicules de 1939 à 1940, se centre elle sur les débuts de la GMII.
- La troisième série de 30 fascicules sur l’année 1946, met en avant les opérations de reconquête du pays et s’intitule « Patrie libérée« .
- La quatrième série de 75 fascicules de 1947 à 1950, relate les différents « exploits » ayant eu lieu pendant la GMII.
- Il existe une cinquième série de 20 fascicules à partir de 1950 s’intitulant « Collection Patrie – Sois un homme! », cependant elle ne traite pas vraiment de la guerre et se concentre sur des exploits de « civiles ».
Les artisans de la Collection Patrie
Au fil des séries, la collection Patrie a fait appel à une quarantaine d’auteurs, dont le plus célèbre n’est autre que Léon Groc (1882-1956). Cet écrivain populaire des plus prolixe et aux pseudonymes multiples est alors connu pour ses romans policiers, de science-fiction et sentimentaux. Il prendra également en charge la direction littéraire de la collection. D’autres auteurs eux aussi issu de la littérature populaire prennent la plume pour la collection Patrie :
–Gustave Le Rouge (1867-1938), écrivain, poète, essayiste, critique et journaliste
–Georges Spitzmuller (1866-1926), écrivain, dramaturge, journaliste et librettiste
–Georges-Gustave Toudouze (1877-1972, à ne pas confondre avec son père Gustave Toudouze également écrivain), écrivain, historien et journaliste
–Jean Petithuguenin (1878-1939), romancier, traducteur
En ce qui concerne les illustrations -de couverture notamment, beaucoup sont réalisées par un certain Gil Baer (1863-1931). Illustrateur de métier, il réalise à côté de la collection Patrie (et autres publications dramatiques) des dessins humoristiques. Sa carrière l’amènera à travailler avec Le Pèle Mêle, La Chronique parisienne ou encore Le Petit Français Illustré.
28 Mar 2023
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Kessel: le lion et son double
« Il ne faudrait jamais entreprendre de raconter un voyage : on est d’avance vaincu. […] Mais que faire ! Si l’on aime, il faut parler de l’objet de son amour. »
Joseph Kessel, En Syrie, p.9 Folio 2014.
Jef, l’aviateur, le reporter, l’académicien, Jef le russe, le juif, l’apatride aventurier, Jeff le fin psychologue, l’homme de terrain, le lion.
De l’Argentine (1898) au Val-d’Oise (1979), Joseph-Elie Kessel aura eu l’occasion de parcourir le monde de long en large plusieurs fois.
Son nom sans vous être familier ne vous est sûrement pas totalement inconnu, sans doute parce qu’il aura été à la fois un acteur important et un observateur acéré de la première moitié du 20e siècle.
De ses articles, notamment sur la survivance de l’esclavage en Abyssinie dans Le Matin (publiés entre mai et juin 1930, ils feront augmenter le tirage du journal de 150 000 exemplaires), à son rôle actif d’aviateur durant les deux guerres, sa présence marquante dans la résistance (ne serait-ce que pour l’écriture du Chant des partisans et de L’armée des ombres) en passant par ses récits plus intimistes comme Les Captifs ou sulfureux comme Belle de jour – adapté pour le cinéma en 1967 par Luis Bunuel – sans parler du succès retentissant du Lion et des Cavaliers en leur temps, Kessel aura marqué son époque avec éclat.
Une œuvre riche et polymorphe qui vaut le coup d’être (re)découverte, notamment à travers ses différents thèmes et registres représentés par un éventail significatif dans notre stock :
Que ce soit le portrait intime et politique, son amour des figures à la fois grandiloquentes et inquiétantes et l’exploration récurrente de ses doubles dans l’écriture, à travers Stavisky, l’homme que j’ai connu.
Ou comment dans Le Lion et La Piste fauve le récit-reportage s’évertue à sonder l’ambiguïté de la force, du sauvage et des liens aussi bien sociaux que sentimentaux qu’ils entretiennent entre eux et aussi des rapports de forces entre colons et colonisés (sans réel jugement ou recul par ailleurs).
Ou encore ses débuts avec La Steppe rouge, recueil de nouvelles – assez brutales – se déroulant dans la période de guerre civile que vit la Russie bolchéviste suivant la révolution d’Octobre 1917, où le jeune écrivain montre déjà son talent à travers ses personnages alliant le détail journalistique à la profondeur romanesque.
Et enfin ses deux grands œuvres représentant ensemble une forme de synthèse de sa vie et de son travail d’artiste : Le Tour du malheur, fresque romanesque à caractère autobiographique de 1600 pages répartis sur 4 tomes à laquelle Kessel tenait énormément, grand succès public à sa sortie mais qui ne parvint pas à convaincre la critique et qui reste aujourd’hui assez méconnu par rapport au reste de ses écrits ; en face de cela Les Cavaliers, roman épique consacré à l’Afghanistan et au jeu du bouzkachi, considéré comme son chef d’œuvre tant par la critique que par une grande partie du public et qui incarne peut-être le mieux ce combat que l’auteur mène avec l’écriture pour exprimer son amour du voyage.
Nous vous invitons ainsi à voyager avec cet homme fasciné et fascinant aussi bien sur notre site qu’en librairie où nous possédons aussi de belles pièces de son œuvre, parce qu’il n’est jamais trop tard pour découvrir ou approfondir sa connaissance de cet artiste dont François Mauriac disait dans son Bloc-notes :« Il est de ces êtres à qui tout excès aura été permis […] et qui aura gagné l’univers sans avoir perdu son âme. »