15 Avr 2011
A propos des revues XXI et 6 mois et du métier de libraire
Je profite de la sortie du dernier numéro de XXI et du premier numéro de 6 mois (dès maintenant disponibles à la librairie) pour m’approprier ce petit texte de Camus cité dans l’éditorial du numéro 14 de XXI : « La tâche de chacun de nous est de bien penser ce qu’il se propose de dire, de modeler peu à peu l’esprit du journal qui est le sien, d’écrire attentivement et de ne jamais perdre cette immense nécessité où nous sommes de redonner à un pays sa voix profonde. Si nous faisons que cette voix demeure celle de l’énergie plutôt que celle de la haine, de la fière objectivité et non de la rhétorique, de l’humanité plutôt que de la médiocrité, alors beaucoup de choses seront sauvées et nous n’aurons pas démérité. »L’éditorial était titré « Critique de la nouvelle presse ».
Notre métier de libraire d’ancien et d’occasion est comparable : il nous faut nous attacher à bien choisir, à bien penser ce que nous proposons dans nos rayons, de le faire avec énergie et avec le coeur, sinon nos rayons ne veulent plus rien dire et les lecteurs se perdent dans les méandres de l’histoire du livre. Par la même nous sauvons notre patrimoine en donnant du sens à 500 ans d’histoire de l’écrit.
Merci donc à la très bonne revue XXI de nous avoir donné dans ce 14° numéro de nombreux exemples d’humanité. J’attire très fortement votre attention sur l’entretien très chargé de sens et de contenu entre Laurent Mucchielli et XXI. Ainsi que sur le reportage photo sur Julie dans 6 Mois.
1 Fév 2018
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Rabelais : le fer de lance de l’Humanisme
A la fin du XVème siècle, alors que la nuit du Moyen âge touchait à sa fin et que l’aurore de la Renaissance commençait à briller sur l’Europe, la production littéraire du Vieux Continent était, toutes proportions gardées, aussi corsetée qu’à l’heure actuelle en Corée du Nord. Grâce aux bons soins des inquisiteurs du Saint-Office, la liberté de parole – et d’écrit – était partout courbée sous une botte de fer dogmatique qui annihilait toute velléité de subversion (les contrevenants risquant alors le bûcher) :
« Spectacle lamentable, abject, la vie des hommes se traînait sur la terre, écrasée sous le poids d’une religion dont la face hideuse, surgie des hauteurs du ciel, faisait peser sa menace sur les mortels. » (Humana ante oculos foede cum vita iaceret in terris, oppressa gravi sub religione quae caput a caeli regionibus ostendebat, horribili super aspectu mortalibus instans)
Lucrèce, De Rerum Natura, I, 62-65
Pourtant, deux hommes, seulement deux, isolés et agissant séparément, contribuèrent alors à mettre en branle le puissant mouvement philosophique qu’on appellera plus tard « humanisme ». Leurs noms : Érasme et Rabelais. C’est le second qui retiendra ici notre attention. Si les textes de celui qu’on a parfois appelé le « Père de l’humanisme » (Boccace et Pétrarque ne s’étant pas départis de certaines capucinades) peuvent aujourd’hui paraître bien sages, il n’en était rien au XVIème siècle, où leur diffusion fit l’effet d’une véritable bombe intellectuelle.
En complète opposition aux pratiques de mortification ayant alors cours, Pantagruel et Gargantua (qu’il n’est plus besoin de présenter) sont autant de fictions truculentes où, à travers divers récits cocasses, Rabelais se fait le chantre passionné de la joie de vivre, de l’épicurisme, de l’hédonisme, bref, des plaisirs simples de l’existence, à commencer par ceux de la table (d’où les expressions proverbiales telles que « un repas gargantuesque » et « un appétit pantagruélique »).
La librairie Abraxas-Libris propose actuellement les œuvres de Rabelais dans une superbe édition de 1823 en quatre volumes, nanties de plusieurs cartes en excellent état, et, surtout, d’illustrations étonnantes issues de l’édition Fernand Bastien.
Ces gravures insolites et burlesques, à l’indéniable qualité artistique, ne sont pas sans évoquer celles du Dictionnaire Infernal de Collin de Plancy. On pense également aux œuvres de Jérôme Bosch ou de James Ensor, ou encore au fameux Mat du Tarot de Marseille.
Certaines gravures font même irrésistiblement songer à Ganesh, l’adorable Dieu-éléphant de l’hindouisme, alors parfaitement inconnu des Européens !
La librairie Abraxas-Libris propose également l’édition en deux volumes de Jean-François Bastien, éditée en 1783 et contenant un portrait de Rabelais en frontispice. Ces deux éditions, celle de 1783 et celle de 1823, se complètent à merveille et raviront certainement les aficionados d’œuvres rares et de gravures pittoresques.