17 Fév 2023
Jack London, pour nous, c’est l’Amérique.
Quand on pense à Jack London, on pense immédiatement à Croc-Blanc, L’appel de la forêt, Construire un feu, on pense au Klondike et au Yukon, à des chiens de traîneaux et des hommes perdus dans l’immensité blanche et hostile du nord américain. On pense à un homme dont la vie vaut la fiction, à l’aventurier baroudeur, au marin intrépide qui du Razzle-Dazzle au Snark n’aura eu de cesse de naviguer et d’explorer.
On peut aussi éventuellement penser au Talon de Fer, qui aurait, paraît-il, marqué Trotsky, à son investissement socialiste donc, dans des États-Unis en pleine mutation industrielle.
Cependant on pense en général moins à La Peste écarlate ou au Vagabond des étoiles, à Avant Adam ou encore à Mille fois mort où l’auteur explore autant l’horreur, le récit fantastique que la science-fiction.
Mais voilà justement ce qu’a été Jack London, un écrivain polymorphe et protéiforme, au sommet de son art dans la nouvelle mais qui se tenta aussi au théâtre (sans grand succès), écrivit un peu de poésie, des essais ou encore des reportages de voyages, de guerre, de société et bien évidemment, des romans. Un auteur très prolifique, avec presque 200 nouvelles et plus d’une vingtaine de romans, qui écrivait inlassablement, où qu’il soit, ses 1000 mots par jour.
Il fut aussi avec Mark Twain, l’un des premiers auteurs américains millionnaires ; ce qui vient ajouter à cette aura d’un artiste-aventurier, issu des classes populaires qui par son vécu et son travail acharné parvient au succès. Une sorte de self-made man qui aurait arraché son dû à la vie à la force de son bras et de son talent.
Cependant si sa ténacité et son obstination sont remarquables elles auront aussi abîmés sa santé, il entretint un rapport compliqué à l’alcool (qu’il analyse dans son récit fortement autobiographique John Barleycorn et qui n’est pas sans rappeler un autre auteur américain très prolifique, Stephen King) et fut physiquement marqué par ses voyages, du scorbut au Klondike aux maladies tropicales durant ses expéditions à bord du Snark…
Il mourra ainsi le 22 Novembre 1916 à 38 ans sur le porche de son ranch en Californie, des suites de problèmes rénaux aiguës et d’une prise de morphine en auto-médication trop forte.
Il ne faut pas oublier non plus qu’il est pleinement le fruit de son époque, du braconnage d’huîtres à la ruée vers l’or, du travail en usine aux vagabondages du rail, des reportages dans les bas-fonds de Londres à ceux sur la guerre russo-japonaise.
Il aura été à la fois l’artisan et le bénéficiaire de l’explosion des journaux papiers du début du XXème siècle aux États-Unis. Il se sera notamment vu publié dans le San Francisco Examiner (comme Mark Twain), journal par lequel William Randolph Hearst, figure mythique de la presse américaine (qui inspira notamment le Charles Foster Kane du Citizen Kane d’Orson Wells), commença son empire.
On peut ainsi voir dans Jack London un de ces personnages bigger than life qui ont marqué cette époque et ont participé à créer le mythe américain.
Un aspect qui nous fascine et qui se retrouve questionné aujourd’hui à travers une réinterprétation de l’auteur et son œuvre. Notamment au travers des rééditions et traductions corrigées de ses œuvres quasi-complètes chez Phébus-Libretto et son entrée dans la Pléiade en 2016, où l’on cherche à explorer la complexité du réel derrière le mythe.
D’un point de vue théorique il aura autant été marqué par le darwinisme que le socialisme et se sera retrouvé en permanence à réfléchir autour du thème de l’affrontement : « Avec la nature, les forces hostiles de la nature, affrontement de classes, mais aussi entre les sexes et contre soi-même.[…] C’est le romancier qui a le mieux exposé tous ses champs de bataille sans finalement vraiment choisir son camp. Il a laissé toutes ses forces conflictuelles s’exprimer. Je crois que cet aspect chaotique, archaïque et primitif, est le fondement de sa personnalité, c’est l’une de ses plus grandes singularités — la mise en scène d’un monde de pulsions permanentes entre lesquelles il ne choisit pas et qu’il n’ordonne pas. », comme l’exprime Philippe Jaworski dans un entretien pour le site de la revue Historia, à l’occasion de l’entrée de London dans la Pléiade.
Malgré cela, bien qu’il fût très populaire en son temps et qu’il l’est encore aujourd’hui, il semble ne pas avoir réussi à s’installer dans le panthéon littéraire américain comme a pu le faire Twain, selon Jaworski encore : « Il est considéré au mieux comme un naturaliste mineur dans la mouvance de Zola. Bien qu’il soit un écrivain très américain, les Américains ont du mal à se reconnaître dans ce rapport très ambigu à la violence primitive, archaïque. ».
Et peut-être est-ce là une des grandes spécificités de London, de s’être confronté à des impensés de la société états-unienne qui sont pourtant fondateurs de son histoire, la violence et le rapport à l’autre autant que la violence dans, par, le rapport à l’autre, que cela soit des hommes envers les hommes (Le peuple de l’abîme, Mille fois mort), des hommes envers les animaux et des animaux envers les hommes en retour (le dyptique Croc-Blanc, L’appel sauvage).
Et peut-être est-ce en effet ce qui l’empêche de pleinement prendre sa place dans le paysage littéraire nord-américain mais aussi ce qui nous fascine tant ici, en France.
On peut considérer trois grands moments dans la vie des œuvres de London en France, les premières traductions importantes de Louis Postif (parfois assisté de Paul Gruyer) pendant l’entre-deux-guerres, principalement publiés chez Hachette (notamment dans la fameuse Bibliothèque verte) et Les éditions G. Crès & Cie ; les rééditions en 10/18 et chez Bouquins à la fin des années 70, autour desquelles la présence de Francis Lacassin donne une lecture plus orienté politiquement, une importance plus grande est alors donné à cette part de son œuvre au travers de textes comme Révolution, texte d’une conférence donné par l’auteur à Harvard et retraduit à l’occasion par Jacques Parsons ; et enfin la grande entreprise de réédition réalisée par Phébus-Libretto sous la direction de Noël Mauberret, entamée au début des années 2000, qui tente d’apporter au grand public la meilleure et la plus exhaustive des versions possibles de l’œuvre de Jack London.
Mauberret pour cette collection s’appuie néanmoins beaucoup sur les traductions de Postif qui reste celui qui « grâce à un travail acharné » (selon les mots de ce premier) permit à l’auteur californien d’être connu en France et qui avait en fait tout traduit, mais dont les textes avaient été en parties coupés par les éditeurs qui n’étaient d’abord intéressés que par des histoires d’aventures, dont ils occultèrent les passages trop violents ou philosophiques.
Cependant il y a aussi, avec ce travail plus récent autour de l’auteur, une volonté de rétablir la spécificité de son langage, notamment son aspect oral qui n’était pas vraiment dans le canon des traductions de la première période. Frédéric Klein a grandement participé à ce travail de révision des traductions de Postif ou Parsons et a parfois retraduit entièrement l’œuvre quand cela était nécessaire, comme pour L’appel sauvage, nouveau titre évocateur plus proche de l’original Call of the Wild, « sauvage » faisant appel à une notion plus marquée que celle de « la forêt ».
Encore une fois nous pouvons faire le parallèle avec Mark Twain dont les différentes tentatives de retraductions, d’Huckleberry Finn notamment, connurent une histoire similaire (et qui se vu brillamment retraduit par Bernard Hoepffner en 2008 chez Tristram).
Nous pouvons alors nous poser cette question, comme le fait Thierry Jousse dans son émission Blow Up : c’est quoi Jack London ?
Comme nous avons pu le voir, c’est à la fois, l’homme, le mythe, l’auteur et sa résonance dans la société française qui sont convoqués lorsque l’on prononce ce nom. C’est aussi une part de notre rapport à l’Amérique, un pan historique de notre imaginaire contemporain, au même titre que Steinbeck, Twain, Kerouac ou King.
Et nous vous proposons aujourd’hui de vous replonger dans les premières éditions de son œuvre en France avec un lot d’ouvrages publiés chez Hachette et Crès & Cie, comprenant notamment Le peuple de l’abîme, Croc-Blanc, La Croisière du « Snark » mais aussi le Journal de bord du « Snark », écrit par sa femme et qui donne une version complémentaire au texte de l’auteur, ou encore Les vagabonds du rail.
29 Août 2023
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Larguez les amarres, voici Gustave Aimard !
« Carte de visite de Gustave Aymard (Aimard), romancier et grand voyageur ». Photographie d’Etienne Carjat (1828-1906). Paris, musée Carnavalet.
« Gustave Aimard, romancier et grand voyageur », on aurait aisément pu y lire : « aventurier ».
Il naît Olivier Aimard le 13 Septembre 1818 à Paris, orphelin adopté, il devient Olivier Gloux à 6 ans. Suite à quelques péripéties, il s’embarque comme matelot à 9 ans, atterrit en Amérique du Sud qu’il remonte jusqu’au Mexique et en Californie. Il aurait été captif d’indiens en Patagonie, « coureur des bois » (entendez trappeur), chercheur d’or et franc-tireur dans la Sonora ainsi que marié à une Comanche dont la tribu l’aurait accueilli pendant 5 années.
De retour en France il se sert de cette matière pour devenir un auteur populaire à succès, se remarie à une chanteuse lyrique, produit de nombreux ouvrages de qualité variable et meurt diagnostiqué, entre autre, de folie des grandeurs dans l’hôpital psychiatrique de Sainte-Anne, au sein de la ville qui l’a vue naître, en 1883.
Si la vie de Gustave Aimard semble bien digne d’un roman, ce n’est pas tout à fait un hasard : la majorité de ces informations nous provenant de ses écrits plus ou moins autobiographiques (principalement Par mer et par terre et en filigrane de toute son œuvre), la véracité de ces éléments reste à prendre avec précaution malgré la confirmation de certains d’entre-eux, dans les quelques travaux de recherches qui lui ont été dédiés (Sur la piste de Gustave Aimard de Jean Bastaire, les articles d’André Pinguet et le n°13 de la revue Le Rocambole qui lui a consacré un dossier de 110 pages sous la direction de Thierry Chevrier).
Nous avons aujourd’hui le plaisir de pouvoir vous proposer une quantité importante de ses œuvres en ligne et dans nos magasins, notamment de nombreux numéros de la collection du « Livre populaire » à 65 centimes publiés par Fayard à partir de 1907. (Re)Plongeons-nous dans cet auteur un peu oublié et pourtant pionnier de la littérature d’aventure sur l’Ouest américain en langue française.
Les nuits mexicaines, n°44, 1911, collection « Le Livre populaire » à 65 centimes Fayard.
Ainsi, si l’on peut reconnaître qu’il n’a pas totalement disparu de nos mémoires, sa présence y est-elle à la hauteur de son héritage?
Il faut admette en effet, et déplorer peut-être, le talent inégal parcourant son œuvre, notamment à cause de ses nombreuses répétitions : thématiques, stylistiques, voire de passages entiers (comme avec cet exemple frappant : en 1864 il conserve ses textes originaux pour Amyot et procure à Cadot, un éditeur d’appoint, des textes remplis de réemplois, notamment Les Chasseurs d’abeilles dans L’Araucan, victime de son succès il aurait eu du mal à suivre les demandes des éditeurs)… Ce qui ne l’empêchera pas de devenir un des auteurs populaires marquants du XIXe siècle, par l’imaginaire du Far-West et de l’aventure qu’il a grandement participé à apporter et développer en France.
Les chasseurs d’abeilles, n°20, 1909, réédition de Fayard toujours dans la même collection, un des tomes qui servira à l’auto-plagiat de l’auteur.
On le retrouve en effet cité par Lautréamont (même si c’est pour l’opposer à ce qu’il considère comme renfermant du « génie ») qui le place aux côtés de Dickens, Hugo et de Landelle (un auteur d’ouvrages maritimes). Il est également présent chez Cendrars qui le cite aux côtés de Bernardin de Saint-Pierre, Wells et Poe comme figures du roman du XIXème siècle et chez Pagnol qui le place au même niveau que Fenimore Cooper (comme source d’inspiration pour ses jeux et créations d’enfants avec son frère Paul dans La Gloire de mon père). Il ne faudrait également pas oublier qu’on lui doit le patronyme et personnage de Valentin Guillois, si cher à Robert Desnos qui l’utilisera même comme pseudonyme pendant la résistance.
Le cœur loyal, n°4, 1908, Fayard. Le personnage du Cœur Loyal, introduit dans Les Trappeurs de l’Arkansas, le n°1 de la collection, est une figure récurrente d’Aimard, il forme avec Valentin Guillois une forme de pendant au Bas-de-Cuir de Cooper.
Il aura aussi, et peut-être surtout, été l’un des grands inaugurateurs de la figure de l’écrivain aventureux qui deviendra si importante durant la première moitié du XXème siècle. Si nous avons déjà cité Cendrars, on peut aussi penser à Kessel ou encore Jünger mais également, même s’il est peu probable qu’il l’ait lu, à Jack London dont les voyages au Klondike puis au bord du Snark ont rempli nombre de ses livres. Le parallèle est marquant sur plusieurs points : ils sont tous deux orphelins de père ; ont eu une première partie de vie aventureuse marquée par une certaine précarité qui leur a ensuite servie de matière pour une ascension sociale à travers l’écriture et seront révélés par l’apparition de leurs textes dans des journaux ; ils entretiennent également des rapports ambiguës, mais relativement caractéristiques de l’époque, avec l’altérité, y voyant autant de vices que de vertus ; il en est de même pour leur engagement politique qui, s’il est bien présent, est fluctuant et suit le cours de leurs rencontres et expériences, plus que soutenus par un véritable système (libertaire pour Aimard et socialiste pour London, même si chez ce dernier on peut noter une forte prégnance du darwinisme social).
À la différence de London, Aimard n’est pas journaliste mais il parle tout de même parfois de sujets qui lui tiennent à cœur et qui ont été, ou sont, d’actualités, comme avec La Fièvre d’or et Curumilla qui retrace l’aventure du comte Raousset-Boulbon et de sa République de la Sonora en 1852 (à laquelle l’auteur aurait participé) ou la guerre du Mexique, avec Les Gambucinos ci-dessous.
Les Gambucinos, n°28, 1910, Fayard. Publié originellement au printemps 1865 dans le périodique Le Musée des familles, en plein guerre du Mexique, l’auteur ouvre le récit par son intention de renseigner sur cet événement qui attirent « les regards des parents et des amis de nos braves soldats ».
Le commandant Delgrès, n°41, 1911, Fayard. Consacré à la figure éponyme du commandant qui se révolta contre le rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe sous l’ordre de Bonaparte, en 1802.
À l’instar de ses contemporains, il publie tout d’abord ses textes dans des périodiques : La Tour des Hiboux dans le Journal pour tous en 1856 et Don Diego de Lara dans le Journal du Dimanche en 1857 ; obtenant le succès en 1858 avec Les Trappeurs de l’Arkansas, ceux-ci sont rapidement repris en volumes par l’éditeur Amyot (Don Diego de Lara l’est sous le nom de Le Chat sauvage dans le recueil Une Vendetta mexicaine, chez Cadot l’autre éditeur d’Aimard à cette époque) puis par Dentu à partir de 1870 avec La Forêt vierge. Ses œuvres seront ensuite rééditées par Fayard en 1907, après un rachat d’une partie des fonds de Dentu qui fait faillite en 1895, cette collection constitue l’ensemble le plus accessible des ouvrages de l’auteur. Elle fait partie de la fameuse série à 65 centimes « Le Livre populaire », initiée par Arthème Fayard fils en 1905 qui durera jusqu‘à la première guerre mondiale. Toutes les couvertures y sont superbement illustrées par Georges Conrad, collaborateur de nombreux périodiques de l’époque comme le Journal des voyages, Mon Journal ou La Vie illustrée. Il composa également de nombreuses couvertures de romans populaires pour Hachette et Fayard, dont des séries de Jules Lermina, continuateur des Mystères de Paris d’Eugène Sue et du Comte de Monte-Cristo de Dumas entre autres. Fayard ressortira ses aventures découpées et édulcorées en fascicules dans les années 30, à destination d’un public plus jeune et on retrouve Les Trappeurs de l’Arkansas au sein de la Bibliothèque rouge et or à l’orée des années cinquante, même si l’auteur a alors perdu de son aura.
La Fièvre d’or – Curumilla, Amyot, 1860.
Le Souriquet (René de Vitré – Michel Belhumeur), Dentu, 1882.
Le Grand chef des Aucas en fascicules chez Fayard Frères, illustré par Delâtre.
La Forêt vierge, édité ici chez Fayard, n°18 de la collection « Le Livre populaire » à 65 centimes.
Balle-Franche, L’Eclaireur, Les Outlaws du Missouri, Les Chasseurs d’Abeilles, Le Coeur de Pierre, Le Guaranis, Le Montonero, n°16 à 22 d’un lot du n°1 à 22, édité par Arthème Fayard dans les années 30.
Les Trappeurs de l’Arkansas, « Bibliothèque rouge et or », 1951.
Nous avons donc pu voir l’apport d’Aimard à la littérature d’aventure et sa place de choix dans les éditions populaires jusqu’à la Grande Guerre, ainsi que l’importance en filigrane de sa postérité, chez les écrivains du début du XXe siècle notamment.
Alors n’hésitez pas à mettre la main sur un de ces ouvrages historiques, qui le sont autant par le fond que par la forme, et embarquez-vous avec ce cœur aventureux de la Lorraine au Mexique en passant par le Brésil et les Caraïbes!
(Nous vous conseillons également, si vous voulez approfondir le sujet: Sur la piste de Gustave Aimard, Trappeur quarante-huitard, de Jean Bastaire, édité par Les Belles Lettres ; cette belle synthèse sur Gallica ainsi que cet article disponible sur openedition.)