14 Sep 2021
Les sept péchés capitaux
L’orgueil, l’envie, la colère, la paresse, la luxure, la gourmandise et l’avarice, tels sont les grands maux de l’humanité théorisés par la Bible et enfermés, à l’instar d’une véritable boîte de Pandore, dans une dénomination qui a traversé les siècles : les sept péchés capitaux. Dans la religion catholique, ces vices, définis comme capitaux car susceptibles d’entraîner d’autres péchés, s’opposent aux sept vertus : les trois théologales (la foi, l’espérance et la charité) et les quatre cardinales (la justice, la prudence, la force et la tempérance). La « lie » des comportements humains a, bien entendu, été une grande source d’inspiration pour les artistes. Aujourd’hui, la librairie Abraxas vous propose de succomber à la tentation en découvrant les compositions d’André Lambert consacrées au sujet.
Né en Suisse, André Lambert (1884-1967) est un illustrateur majeur de l’entre-deux-guerres. Peintre, aquarelliste, graveur, il fait ses études à Munich où il suit l’enseignement du baron Hugo van Habermann avant de s’inscrire aux Beaux-Arts de Paris. Il est également connu pour ses vastes connaissances dans les cultures latine et grecque, une érudition qu’il met au service de ses créations artistiques ; ces dernières témoignent d’un style marqué par le classicisme antique et le mouvement Art Nouveau. Il consacre une partie de sa carrière à l’illustration ; son travail sur le Salammbô de Flaubert au début des années 1920, et plus particulièrement sur les sept péchés capitaux, constituent ses œuvres les plus fameuses.
Salammbô illustré par André Lambert, gravure
Imaginées par Lambert, les représentations des sept vices sont également peintes et gravées par l’artiste, et éditées chez Le Prince en 1918. Une page de titre, le discours préliminaire et un justificatif de tirage accompagnent les gravures en couleurs. Cette édition a été imprimée en 175 exemplaires ; celui que nous vous présentons porte le numéro 26 et a été imprimé sur Japon. Chaque épreuve est signée et porte le numéro de l’exemplaire (à l’exception de la planche de l’Avarice qui porte le numéro 27).
Chaque scène s’imagine comme une représentation imagée de chacun des péchés capitaux, où la figure féminine devient centrale, évoluant dans des décors élégants et dont le détail contribue à la création d’une atmosphère inhérente à chaque planche. Cette ambiance propice à la description de chaque vice est alimentée par les tonalités riches ou froides des couleurs. Les représentations traduisent également la grande culture d’André Lambert : les poses alanguies de la Paresse et de la Luxure dénotent l’influence des peintures orientalisantes d’un Delacroix ; la scène énamourée entre Arlequin et Colombine, devant un Pierrot éconduit, illustrant la Colère n’est pas sans rappeler les peintures galantes de Watteau.
Antoine Watteau, La partie carrée, vers 1713
Conception catholique, les sept péchés capitaux sont discutés depuis les premiers siècles de notre ère par les intellectuels ecclésiastiques, notamment les vices-mêmes qui constituent cette liste. Le pape Grégoire le Grand, au VIème siècle, par exemple, supprime la vaine gloire (ramenée à l’orgueil) et l’acédie* (identifiée avec la tristesse) mais rajoute l’envie. Ce répertoire est définitivement fixé lors du concile de Latran en 1215 et théorisé par Thomas d’Aquin ; celui-ci fait d’ailleurs la distinction entre les péchés et les vices, ces derniers étant définis comme des tendances à commettre certains péchés.
Les péchés capitaux ont très vite été source d’inspiration, sous forme allégorique, pour les auteurs et les artistes depuis l’époque chrétienne. La littérature médiévale reprend ces archétypes dans des œuvres comme le Livre de la Cité des Dames de Christine de Pizan, ou dans La Divine Comédie où Dante décrit, dans la première partie consacrée à l’Enfer, le sort réservé aux damnés qui se sont rendus coupables des différents péchés. Les péchés capitaux sont aussi une source thématique florissante pour les artistes peintres ; à ce titre nous pouvons citer les fresques de Giotto pour la chapelle Scrovegni à Padoue ou bien encore la représentation de Jérôme Bosch aujourd’hui conservée au Musée du Prado à Madrid.
jJérôme Bosch, Les péchés capitaux (détail), vers 1450
Dans son texte de présentation, Lambert exprime sa volonté de présenter les sept Péchés Capitaux sous un jour nouveau « en tentant de marier le charme du passé à l’esprit éclectique et peut-être un peu frivolement désenchanté de notre siècle. » Au contraire d’une conception moraliste condamnant le pécheur aux tourments de l’Enfer pour avoir refusé de faire sienne les sept vertus, le privant ainsi de son droit au paradis, l’artiste considère « qu’il faut savoir distinguer les Plaisirs du Vice, excuser nos faiblesses tout en condamnant le Désordre et ne pas confondre des Appétits simples, légers et naturels avec de méchantes et perverses inclinations ». En ce sens, il s’inscrit dans la lignée de Thomas d’Aquin qui, au XIIIème siècle, en associant la pensée aristotélicienne à la scolastique catholique, reconnaît que la connaissance est d’abord sensible : le corps est un outil de connaissance, et pas uniquement un vecteur du péché originel que le croyant doit racheter en se conformant strictement, sa vie durant, aux dogmes de l’Eglise.
Ainsi, pour les théologiens médiévaux, l’orgueil est le commencement de tout péché ; pour Thomas d’Aquin, celui-ci peut être « correctement régulé par la raison » et « se traduit par une attitude vertueuse (…) : la magnanimité ». La gourmandise est considérée comme le premier péché de l’homme par les commentateurs bibliques : Eve et la pomme, Esaü et le plat de lentilles, Noé et le vin… La pensée thomiste considère plutôt que seules les conséquences du péché peuvent être condamnées : en effet, céder à la gourmandise entraînerait la paresse, le désordre, voire la luxure.
La modération serait ainsi le juste milieu pour éviter le passage d’un vice tendant vers le bien vers le péché. André Lambert considère que « ces Sept Grands Péchés ne sont-ils somme toute pour les disciples d’Epicure, du divin Pétrone ou de St Evremond que nos vertus et nos plus chères délices poussées à cet extrême où l’économie, qualité maîtresse des pères de famille, devient avarice ; où le plaisir délicat du palais dégénère en gourmandise. » Et parmi les scènes allégoriques mais pleines de sens des gravures de l’artiste, c’est la figure de Pierrot, « lunaire et désemparé » parmi la réalisation du péché, qui devient l’image d’un homme « emporté presque malgré lui vers l’erreur » dont l’erreur tiendrait plus de l’ignorance que de la méchanceté consciente.
- Acédie : péché monastique, ennui, paresse spirituelle.
Pour aller plus loin :
- Carla Casagrande et Silvana Vecchio, Histoire des péchés capitaux au Moyen-Age, Aubier, 2003
13 Oct 2023
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De l’or en bulles
Quoi de plus plaisant pour l’amateur de bédé que d’ouvrir un album et d’y retrouver, au-dessus de son prénom manuscrit, un dessin original ? Réalisé par l’auteur, il confère une valeur singulière à l’ouvrage ainsi orné. Une valeur à la fois affective et pécuniaire.
J.L. Pesch (de son vrai nom Jean-Louis Poisson) est disparu cette année. Ce qui a commencé sa carrière à 14 ans laisse derrière lui une œuvre immense. Reprenant Sylvain et Sylvette, la création de Maurice Cuvillier, dès 1957, il travaillera sur la série jusqu’en 2022.
Faute d’héritier à la hauteur de ses exigences, il clôt la série et pose définitivement le pinceau peu de temps avant sa disparition ; il a 94 ans !
Fans
Vous n’avez pas peur de faire la queue des heures durant pour un dessin de votre illustrateur favori ? Munis d’un casse-croûte vous assiégez le stand d’un éditeur, posé sur un siège pliant ? Oui ? Alors vous êtes un authentique chasseur de dédicaces! Mais seriez-vous prêts à vous battre pour ce même dessin ? Peut-être pas… Pourtant, cela arrive parfois sur les plus grands salons et pour les auteurs les plus renommés. « Le fan déçu n’est pas toujours facile à gérer », expliquait il y a quelques années le responsable d’un stand à Angoulême.
Entre promotion et création, l’acte de dédicacer un album à un lecteur, en ajoutant une illustration originale à l’identité du fan, fait couler beaucoup d’encre.
Un véritable business
Pour certains, la revente d’un album dédicacé est devenue assez lucrative pour en faire une activité à part entière. En effet, mettre sur un site de vente en ligne un ouvrage fraîchement signé peut rapporter beaucoup au « lecteur ». Qui n’est plus un fan passant un moment privilégié avec son illustrateur favori mais un spéculateur profitant du travail d’autrui.
Lors d’un salon, il n’est en effet pas rare qu’un dessinateur passe une journée à dédicacer sans pour autant toucher un centime pour ce « bonus » d’encre.
Cette pratique de revente soulève assez de questions pour que des auteurs, dégoûtés, cessent de soulever leur crayon lors des festivals. Sur certains stands de salons, on a institué le tirage au sort de tickets pour obtenir ce moment précieux avec l’illustrateur. Ce qui a conduit à d’autres dérives, comme la revente dudit ticket gagnant !
Une dédicace peut être l’occasion pour l’auteur de détourner ses propres personnages. Avec plus ou moins de légèreté !
Faut-il rémunérer les auteurs présents sur les salons et les festivals ? Doivent-ils exiger de leurs acheteurs un supplément pour la réalisation d’une dédicace ? Éditeurs, auteurs, organisateurs… les avis divergent et le débat n’est pas clos. Il ne le sera sans doute jamais.Aux grands salons certains amateurs préfèrent les séances en librairie. Ces lieux plus intimistes permettent souvent de passer un moment complice avec le dessinateur.
Que vous soyez chasseur d’autographes, de dédicaces ou de simples amateurs de dessins originaux, les albums que nous vous proposons, dédicacés avant cette ère de spéculation, ont tous ce petit quelque chose en plus qui ouvre le cadre de l’ouvrage à d’autres univers… parfois plus coquins !
Annie Goetzinger pensait créer des costumes pour le théâtre, elle deviendra dessinatrice de bédé. L’une des premières en France ! Son style réaliste à la fois élégant, fin et coloré, mettra souvent en valeur les scénarios historiques de Pierre Christin.
Né en 1951, Goetzinger disparaît à 66 ans. Casque d’Or, à l’inspiration très Art Nouveau, paraît en 1976. C’est son 1er album.
Hans Kresse (1921-1992) Cet auteur néerlandais est principalement connu pour sa série Les Peaux rouges, parue en France en 9 volumes entre 1974 et 1982. Un monument : Kresse est considéré comme l’un des Big Three de la bd néerlandaise. On lui doit aussi un « strip » animalier humoristique, Robijn, et surtout la série Eric le Brave créée avant Les Peaux Rouges.
Sources : Le Parisien libéré, France Info, RTBF, Wikipedia, Le Monde, lambiek.net