18 Mar 2016
Cartographie du merveilleux, d’André-François Ruaud
Folio-SF avait eu l’excellente idée de demander à quatre grandes plumes francophone du milieu de l’Imaginaire quatre guides de lecture, un par grande orientation de cette magnifique littérature. Francis Valéry s’était occupé de la Science-Fiction (« Passeport pour les étoiles »), Patrick Marcel du fantastique (« Atlas des brumes et des ombres »), Francis Berthelot des « transfictions » (« Bibliothèque de l’Entre-Mondes »)… et André-François Ruaud de la Fantasy, avec cette « cartographie du merveilleux ».
André-François Ruaud est un pillier du monde francophone de l’Imaginaire : rédacteur en chef du mythique fanzine « Yellow Submarine », à la tête des éditions Les Moutons Électriques, il était sans conteste la plume de référence pour nous proposer ce tour d’horizon dans les terres du merveilleux.
Une première partie brosse l’histoire du genre, et une seconde propose 100 propositions des oeuvres marquantes du genre. Un travail d’une grande intelligence, et qui ose proposer de vraies publications populaires et abordables (les autres auteurs des trois autres guides firent de même).
Bref, plongez dans le Peter Pan de J. M. Barrie, ou les aventures d’Alice de Lewis Carroll. Continuez chez Fritz Leiber ou Mervyn Peake … Ensuite, vous ferez bien un détour par Salman Rushdie ? Ou par Michel Pagel ? Ou Le Trône de fer de G.R.R. Martin ?
Les pages de ce petit volume sont une vraie source d’envies de lecture !
6 Mai 2018
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Paul Féval : Le « Jean Ray breton »
La comparaison pourrait surprendre, et pourtant, il existe de nombreuses similitudes entre le mathurin de Gand et le monarchiste de Rennes : même prédilection appuyée pour les romans-feuilletons, même talent à produire des récits fantastiques singuliers et, hélas, mêmes opinions politiques douteuses, aux franges de la droite extrême royaliste. Il est vrai que le plus grand des auteurs fantastiques de ces cent dernières années, H.P Lovecraft (de l’avis d’une majorité de critiques et de lecteurs), ne brillait pas, lui non plus, par son progressisme et sa largeur d’esprit, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir une plume sublime.
Autant en dira-t-on de Jean Ray et de Paul Féval ! Mais, de manière saisissante, c’est précisément leur hargne réactionnaire qui insuffla une intéressante vigueur à leurs publications, en les colorant d’un ton original, à défaut d’être avenant. Fort heureusement, s’agissant du domaine fantastique, ce trait déplaisant ne transparait guère – ou bien est replacé dans le contexte de l’époque (à l’instar des écrits de Lovecraft).
L’on appréciera la virtuosité d’écriture de Paul Féval par cet extrait, qui justifie pleinement sa filiation avec Jean Ray (lequel, par un curieux hasard, est né exactement la même année que celle du décès de Mr. Féval) :
« Auprès de l’église était un cimetière dont les tombes étaient toutes blanches. Il y en avait deux qui semblaient jumelles. De chacune de ces tombes […] un bras sortait, sculpté en une matière plus blanche que le marbre. Les deux bras allaient l’un vers l’autre et se donnaient une poignée de main. Elle ne savait pas bien, dans son rêve, pourquoi la vue de ces deux sépultures la faisait frissonner et pleurer amèrement. Elle voulait lire les inscriptions gravées sur les tables de marbre, mais c’était chose impossible. Les caractères se mêlaient ou fuyaient devant son regard. […] La nuit se fit, à laquelle succéda une lueur phosphorescente qui rendit livides autour de l’amphithéâtre tous les visages des spectateurs. La foudre éclata dans le lointain, et l’on entendit le vent qui gémissait de toute part. La musique grinça. Une énorme araignée, qui avait le corps d’un homme et des ailes de chauve-souris, se mit à descendre le long d’un fil qui partait des frises et s’allongeait sous son poids. »
Paul Féval, La Ville-Vampire
Assurément l’on nage ici en plein roman gothique, à mi-chemin entre les contes de Karen Blixen et les œuvres de Bram Stoker et de Sheridan Le Fanu. Les similitudes avec la prose de Jean Ray sont également évidentes, notamment celle que l’on peut lire dans les « Contes du Whisky » et le « Livre des Fantômes ». Bien que Paul Féval soit principalement connu pour ses textes dit « classiques » comme « Le Bossu », il mérite néanmoins une place de choix au panthéon des auteurs fantastiques français, entre Théophile Gautier et Maupassant (qui privilégiait certes les romans réalistes, mais restera à jamais le père du « Horla »). Sa « trilogie des vampires », composée de 1) « La Vampire » (1856), 2) « Le Chevalier Ténèbre » (1860) et 3) «La Ville-Vampire » (1867), a tout pour être culte et fait partie en tout cas des textes fondateurs de la littérature d’épouvante. Il est donc intéressant, à plus d’un titre, de découvrir cette facette aussi troublante que méconnue de Paul Féval.
La librairie Abraxas-Libris propose à la vente un large choix d’œuvres de Paul Féval, notamment « La Ville-Vampire », qui demeure sans doute le chef-d’œuvre de son auteur. A consommer sans modération !