10 Oct 2023
Le Fleuve Noir de l’espace
Dans l’espace, personne ne vous entendra… lire !
Forte de plus de 2000 titres* et de cinq décennies de publication, la collection Anticipation des éditions Fleuve Noir a sans conteste marqué l’histoire de la science-fiction française.
Fondée en 1951, elle connaîtra plusieurs vies, créera des vocations, révélera des auteurs, inspirera des éditeurs avant de s’éteindre en 1997. Un adieu en clin d’œil : cet ultime numéro 2001 s’intitulera L’Odyssée de l’espèce. Un ouvrage de Roland C. Wagner distingué par le Grand prix de l’Imaginaire.
Acquérir les 151 premiers volumes c’est faire entrer dans sa bibliothèque l’aventure de la SF populaire française et sa fantastique variété.
Robe noire
Au cours de sa longue histoire la série connaît plusieurs chartes graphiques. La première, familièrement intitulée « Fusée », en est sans aucun doute la plus emblématique. Avec sa robe noire, ses lettrages manuscrits, ses couleurs vives, elle se distingue aussitôt. Aux pinceaux sévit un unique illustrateur, René Brantonne (voir encadré), garantie d’une identité forte.
Le dos agit comme la rampe de lancement d’une fusée différente à chaque titre : stylisée ou plus réaliste, mono tuyère, flanquée de moteurs auxiliaires (ou bien sont-ce des habitacles ?), filant à l’oblique dans une orbe rouge et blanche vers un nuages d’étoiles multicolores ou un simple astre immaculé… ces variations souvent subtiles, parfois importantes, enrichissent la présentation de la collection.
Elle reprend en fait le spationef du premier volume de la collection, Le Météore, celui-lui là même qui envoie ces héros inventés par F. Richard-Bessière vers leur quête intersidérale.
De nouveaux univers
Le Fleuve Noir n’a que deux ans d’existence lorsque François Richard crée au sein des éditions la collection Anticipation. Tout d’abord limitée à un unique titre par mois, la fréquence atteindra vers la fin de son existence cinq ouvrages. Les volumes, d’un format poche et de 188 pages, imprimés sur un papier de qualité moyenne, sont vendus à un prix modique. Il s’agit de toucher un large lectorat, accro à l’aventure, pas forcément exigeant sur la qualité ou l’originalité, cherchant l’évasion à peu de frais. En somme, ce que l’on appelle la « littérature de gare », destinée ici à des passagers terrestres avides d’étoiles, de confins et d’explorations plus ou moins scientifiques.
Le space-opera de Richard-Bessière (duo d’auteurs constitué de François Richard et Henri Bessière) par exemple, avec ses Conquérants de l’univers aux quatre épisodes remplit le cahier des charges.
Si des auteurs anglo-saxos figurent parmi les premières publications, dont Poul Anderson, Arthur C. Clarke, Ron Hubbard, Paul French (pseudo d’Isaac Asimov quand il écrit pour la jeunesse) Van Vogt… très vite la collection n’accueillera plus que des écrivains francophones. Certains d’entre eux franchissent alors la passerelle tendue entre littérature d’espionnage ou policière du « Fleuve » et SF ; ils vont écrire au cours des ans plusieurs dizaines de titres, souvent sous pseudonyme. Les Jimmy Guieu (inlassable défenseur de la réalité extraterrestre des OVNIS), les G.J. Arnaud (connu pour sa colossale Compagnie des Glaces) y fourbiront leurs armes… imaginaires.
Le territoire de la science-fiction est vaste et Anticipation en explore les grands espaces : conquête galactique désuète de Jean-Gaston Vandel ou horreur contemporaine de Wyndham avec ses Triffides venus d’outre-espace, sombre évocation des dangers du pouvoir absolu chez Gilles d’Argyre, pseudo de Gérard Klein…
Quelques auteurs se distinguent parmi cette profusion de récits souvent écrits à la chaîne : par exemple Kurt Steiner (pseudo d’André Ruellan) qui, après une carrière de médecin deviendra scénariste pour le grand écran ; ou Stefan Wul, de son vrai nom Pierre Pairault. Comme d’autres écrivains du Fleuve, Wul exerce en marge de l’écriture un métier trop prenant pour lui permettre de créer plus d’une poignée d’ouvrages. Sa SF poétique et humaniste fera de lui un « classique » du genre et au-delà. Oms en série puis L’Orphelin de Perdide, figurants dans ce lot, seront adaptées au cinéma par René Laloux sous les titres La Planète sauvage (1973, avec Topor) et Les Maîtres du temps (1981, avec Moebius). Son œuvre possède une force d’une telle intemporalité que de jeunes auteurs continuent de les adapter de nos jours en BD, chez Ankama.
*Au final, deux mille et un titres plus un hors-série seront estampillés Anticipation.
Un illustrateur haut-en-couleurs
La série Anticipation n’aurait sans doute pas gagné son statut culte sans ses couvertures signées Bratonne. L’artiste est un tel personnage de roman qu’il aurait inspiré, à l’en croire, le Bérurier de Frédéric Dard, auteur phare du Fleuve.
Né au début du XXe siècle, René Brantonne part aux USA dans les années 20 travailler dans la publicité pour de grande agences et leurs clients prestigieux. Les plus grands studios hollywoodiens l’emploient. On lui devrait l’une des variations du sigle Esso, employée durant un demi-siècle par le pétrolier américain. Il revient vivre en France après-guerre et cet « anar de droite » autoproclamé signera des plaquettes pour le PC. Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait la pige !
Bande dessinée, illustration, publicité, retouche, lettrage, affiches de cinéma… et même étiquettes de camembert… dessin au trait, gouache : il aura conjugué tous les modes d’expression pour faire bouillir la marmite, en mercenaire de l’image.
Mais c’est sûrement grâce au Fleuve Noir que sa longue carrière lui vaudra estime et reconnaissance. Il y réalise des centaines d’images – des « maquettes » dit-il, plutôt que des « œuvres ». À tel point que lorsque l’éditeur décide de se séparer de lui, à partir du numéro 274, les ventes déclinent.
Quand il est rappelé à la barre de la fusée Anticipation à partir du numéro 562, son style a évolué tout comme l’époque. D’aucun le qualifie alors de « froid ». Qu’importe, le touche-à-tout de génie convainc de nouveaux afficionados. Il enchantera les rêveurs d’imaginaire jusqu’au numéro 792. Il est l’un des tous premiers illustrateurs à employer l’aérographe en France.
Hélas pour les collectionneurs, les originaux de Brantonne ont pour la plupart disparus : les éditeurs les jetaient sitôt employés et lui-même ne faisait pas grand cas d’un travail qui était pourtant devenu une œuvre de valeur aux yeux de beaucoup.
La collection que nous vous proposons aujourd’hui, en un état de préservation remarquable, reste le meilleur moyen de retrouver l’art si singulier de Brantonne, mélange de naïveté scientifique, d’inquiétude, de couleurs acidulées, de poésie et d’épique.
Sources :
Anticipation – Alain Douilly – Rivière Blanche
Brantonne Illustrateur – Yves Frémion – Kesserling
En Parcourant Le Fleuve – Jean-Pierre Andrevon – in Anthologie Univers, repris sur le blog du Bélial.
https://blog.belial.fr/post/2017/02/24/En-parcourant-le-fleuve#_ftn1
13 Oct 2023
0 Comments
De l’or en bulles
Quoi de plus plaisant pour l’amateur de bédé que d’ouvrir un album et d’y retrouver, au-dessus de son prénom manuscrit, un dessin original ? Réalisé par l’auteur, il confère une valeur singulière à l’ouvrage ainsi orné. Une valeur à la fois affective et pécuniaire.
J.L. Pesch (de son vrai nom Jean-Louis Poisson) est disparu cette année. Ce qui a commencé sa carrière à 14 ans laisse derrière lui une œuvre immense. Reprenant Sylvain et Sylvette, la création de Maurice Cuvillier, dès 1957, il travaillera sur la série jusqu’en 2022.
Faute d’héritier à la hauteur de ses exigences, il clôt la série et pose définitivement le pinceau peu de temps avant sa disparition ; il a 94 ans !
Fans
Vous n’avez pas peur de faire la queue des heures durant pour un dessin de votre illustrateur favori ? Munis d’un casse-croûte vous assiégez le stand d’un éditeur, posé sur un siège pliant ? Oui ? Alors vous êtes un authentique chasseur de dédicaces! Mais seriez-vous prêts à vous battre pour ce même dessin ? Peut-être pas… Pourtant, cela arrive parfois sur les plus grands salons et pour les auteurs les plus renommés. « Le fan déçu n’est pas toujours facile à gérer », expliquait il y a quelques années le responsable d’un stand à Angoulême.
Entre promotion et création, l’acte de dédicacer un album à un lecteur, en ajoutant une illustration originale à l’identité du fan, fait couler beaucoup d’encre.
Un véritable business
Pour certains, la revente d’un album dédicacé est devenue assez lucrative pour en faire une activité à part entière. En effet, mettre sur un site de vente en ligne un ouvrage fraîchement signé peut rapporter beaucoup au « lecteur ». Qui n’est plus un fan passant un moment privilégié avec son illustrateur favori mais un spéculateur profitant du travail d’autrui.
Lors d’un salon, il n’est en effet pas rare qu’un dessinateur passe une journée à dédicacer sans pour autant toucher un centime pour ce « bonus » d’encre.
Cette pratique de revente soulève assez de questions pour que des auteurs, dégoûtés, cessent de soulever leur crayon lors des festivals. Sur certains stands de salons, on a institué le tirage au sort de tickets pour obtenir ce moment précieux avec l’illustrateur. Ce qui a conduit à d’autres dérives, comme la revente dudit ticket gagnant !
Une dédicace peut être l’occasion pour l’auteur de détourner ses propres personnages. Avec plus ou moins de légèreté !
Faut-il rémunérer les auteurs présents sur les salons et les festivals ? Doivent-ils exiger de leurs acheteurs un supplément pour la réalisation d’une dédicace ? Éditeurs, auteurs, organisateurs… les avis divergent et le débat n’est pas clos. Il ne le sera sans doute jamais.Aux grands salons certains amateurs préfèrent les séances en librairie. Ces lieux plus intimistes permettent souvent de passer un moment complice avec le dessinateur.
Que vous soyez chasseur d’autographes, de dédicaces ou de simples amateurs de dessins originaux, les albums que nous vous proposons, dédicacés avant cette ère de spéculation, ont tous ce petit quelque chose en plus qui ouvre le cadre de l’ouvrage à d’autres univers… parfois plus coquins !
Annie Goetzinger pensait créer des costumes pour le théâtre, elle deviendra dessinatrice de bédé. L’une des premières en France ! Son style réaliste à la fois élégant, fin et coloré, mettra souvent en valeur les scénarios historiques de Pierre Christin.
Né en 1951, Goetzinger disparaît à 66 ans. Casque d’Or, à l’inspiration très Art Nouveau, paraît en 1976. C’est son 1er album.
Hans Kresse (1921-1992) Cet auteur néerlandais est principalement connu pour sa série Les Peaux rouges, parue en France en 9 volumes entre 1974 et 1982. Un monument : Kresse est considéré comme l’un des Big Three de la bd néerlandaise. On lui doit aussi un « strip » animalier humoristique, Robijn, et surtout la série Eric le Brave créée avant Les Peaux Rouges.
Sources : Le Parisien libéré, France Info, RTBF, Wikipedia, Le Monde, lambiek.net