1 Fév 2018
Rabelais : le fer de lance de l’Humanisme
A la fin du XVème siècle, alors que la nuit du Moyen âge touchait à sa fin et que l’aurore de la Renaissance commençait à briller sur l’Europe, la production littéraire du Vieux Continent était, toutes proportions gardées, aussi corsetée qu’à l’heure actuelle en Corée du Nord. Grâce aux bons soins des inquisiteurs du Saint-Office, la liberté de parole – et d’écrit – était partout courbée sous une botte de fer dogmatique qui annihilait toute velléité de subversion (les contrevenants risquant alors le bûcher) :
« Spectacle lamentable, abject, la vie des hommes se traînait sur la terre, écrasée sous le poids d’une religion dont la face hideuse, surgie des hauteurs du ciel, faisait peser sa menace sur les mortels. » (Humana ante oculos foede cum vita iaceret in terris, oppressa gravi sub religione quae caput a caeli regionibus ostendebat, horribili super aspectu mortalibus instans)
Lucrèce, De Rerum Natura, I, 62-65
Pourtant, deux hommes, seulement deux, isolés et agissant séparément, contribuèrent alors à mettre en branle le puissant mouvement philosophique qu’on appellera plus tard « humanisme ». Leurs noms : Érasme et Rabelais. C’est le second qui retiendra ici notre attention. Si les textes de celui qu’on a parfois appelé le « Père de l’humanisme » (Boccace et Pétrarque ne s’étant pas départis de certaines capucinades) peuvent aujourd’hui paraître bien sages, il n’en était rien au XVIème siècle, où leur diffusion fit l’effet d’une véritable bombe intellectuelle.
En complète opposition aux pratiques de mortification ayant alors cours, Pantagruel et Gargantua (qu’il n’est plus besoin de présenter) sont autant de fictions truculentes où, à travers divers récits cocasses, Rabelais se fait le chantre passionné de la joie de vivre, de l’épicurisme, de l’hédonisme, bref, des plaisirs simples de l’existence, à commencer par ceux de la table (d’où les expressions proverbiales telles que « un repas gargantuesque » et « un appétit pantagruélique »).
La librairie Abraxas-Libris propose actuellement les œuvres de Rabelais dans une superbe édition de 1823 en quatre volumes, nanties de plusieurs cartes en excellent état, et, surtout, d’illustrations étonnantes issues de l’édition Fernand Bastien.
Ces gravures insolites et burlesques, à l’indéniable qualité artistique, ne sont pas sans évoquer celles du Dictionnaire Infernal de Collin de Plancy. On pense également aux œuvres de Jérôme Bosch ou de James Ensor, ou encore au fameux Mat du Tarot de Marseille.
Certaines gravures font même irrésistiblement songer à Ganesh, l’adorable Dieu-éléphant de l’hindouisme, alors parfaitement inconnu des Européens !
La librairie Abraxas-Libris propose également l’édition en deux volumes de Jean-François Bastien, éditée en 1783 et contenant un portrait de Rabelais en frontispice. Ces deux éditions, celle de 1783 et celle de 1823, se complètent à merveille et raviront certainement les aficionados d’œuvres rares et de gravures pittoresques.
6 Mai 2018
0 Comments
Paul Féval : Le « Jean Ray breton »
La comparaison pourrait surprendre, et pourtant, il existe de nombreuses similitudes entre le mathurin de Gand et le monarchiste de Rennes : même prédilection appuyée pour les romans-feuilletons, même talent à produire des récits fantastiques singuliers et, hélas, mêmes opinions politiques douteuses, aux franges de la droite extrême royaliste. Il est vrai que le plus grand des auteurs fantastiques de ces cent dernières années, H.P Lovecraft (de l’avis d’une majorité de critiques et de lecteurs), ne brillait pas, lui non plus, par son progressisme et sa largeur d’esprit, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir une plume sublime.
Autant en dira-t-on de Jean Ray et de Paul Féval ! Mais, de manière saisissante, c’est précisément leur hargne réactionnaire qui insuffla une intéressante vigueur à leurs publications, en les colorant d’un ton original, à défaut d’être avenant. Fort heureusement, s’agissant du domaine fantastique, ce trait déplaisant ne transparait guère – ou bien est replacé dans le contexte de l’époque (à l’instar des écrits de Lovecraft).
L’on appréciera la virtuosité d’écriture de Paul Féval par cet extrait, qui justifie pleinement sa filiation avec Jean Ray (lequel, par un curieux hasard, est né exactement la même année que celle du décès de Mr. Féval) :
« Auprès de l’église était un cimetière dont les tombes étaient toutes blanches. Il y en avait deux qui semblaient jumelles. De chacune de ces tombes […] un bras sortait, sculpté en une matière plus blanche que le marbre. Les deux bras allaient l’un vers l’autre et se donnaient une poignée de main. Elle ne savait pas bien, dans son rêve, pourquoi la vue de ces deux sépultures la faisait frissonner et pleurer amèrement. Elle voulait lire les inscriptions gravées sur les tables de marbre, mais c’était chose impossible. Les caractères se mêlaient ou fuyaient devant son regard. […] La nuit se fit, à laquelle succéda une lueur phosphorescente qui rendit livides autour de l’amphithéâtre tous les visages des spectateurs. La foudre éclata dans le lointain, et l’on entendit le vent qui gémissait de toute part. La musique grinça. Une énorme araignée, qui avait le corps d’un homme et des ailes de chauve-souris, se mit à descendre le long d’un fil qui partait des frises et s’allongeait sous son poids. »
Paul Féval, La Ville-Vampire
Assurément l’on nage ici en plein roman gothique, à mi-chemin entre les contes de Karen Blixen et les œuvres de Bram Stoker et de Sheridan Le Fanu. Les similitudes avec la prose de Jean Ray sont également évidentes, notamment celle que l’on peut lire dans les « Contes du Whisky » et le « Livre des Fantômes ». Bien que Paul Féval soit principalement connu pour ses textes dit « classiques » comme « Le Bossu », il mérite néanmoins une place de choix au panthéon des auteurs fantastiques français, entre Théophile Gautier et Maupassant (qui privilégiait certes les romans réalistes, mais restera à jamais le père du « Horla »). Sa « trilogie des vampires », composée de 1) « La Vampire » (1856), 2) « Le Chevalier Ténèbre » (1860) et 3) «La Ville-Vampire » (1867), a tout pour être culte et fait partie en tout cas des textes fondateurs de la littérature d’épouvante. Il est donc intéressant, à plus d’un titre, de découvrir cette facette aussi troublante que méconnue de Paul Féval.
La librairie Abraxas-Libris propose à la vente un large choix d’œuvres de Paul Féval, notamment « La Ville-Vampire », qui demeure sans doute le chef-d’œuvre de son auteur. A consommer sans modération !