4 Août 2021
La Divine Comédie par Dante
L’ouvrage du jour met en relation deux personnalités qu’a priori tout sépare. L’auteur, Dante Alighieri, italien dont la vie se partage entre le XIIIème et le XIVème siècles, et l’illustrateur, Salvador Dalí, originaire d’Espagne et qui vécut au XXème siècle, ont pourtant plus que l’art en point commun, malgré les siècles de distance. On peut citer les figures féminines qui ont marqué leurs existences, Beatrice di Folco Portinari pour l’un et Gala Dalí pour l’autre, muses idolâtrées voire mythifiées dans les œuvres de ces deux artistes, ou bien encore leur foi partagée pour le catholicisme. Et c’est l’intérêt pour la religion qui est au cœur du texte que nous vous présentons aujourd’hui, à travers un pèlerinage célèbre qui descend à travers les Enfers pour arriver à la divinité : la Divine Comédie.
L’exemplaire paru aux éditions des Heures Claires réunit l’illustre texte de Dante et le dessin de l’artiste le plus excentrique du XXème siècle. Il se présente en trois séries de deux volumes dont le découpage suit celui des trois parties de la Divine Comédie : l’Enfer, le Purgatoire puis le Paradis. Les volumes sont sous emboîtage et imprimés sur vélin pur chiffon de Rives ; ils font partie des 3900 exemplaires qui ont été imprimés entre 1959 et 1963. Cette édition présente 100 aquarelles de Dalí gravées sur bois, une pour chaque chant qui compose le texte original.
L’originalité de cette édition, qui associe l’artiste le plus excentrique du XXème siècle et l’illustre auteur de la langue italienne, permet d’apprécier le résultat de l’appropriation d’un grand texte de la littérature médiévale par l’univers singulier et déluré de Dalí. Son style très étiré transforme les personnages et les couleurs : les figures humaines deviennent éthériques, les couleurs, par l’aquarelle, se diluent pour perdre en vivacité mais gagner en volume. Tour à tour par des rondeurs célestes ou des coulures anxiogènes, Dalí glisse dans son dessin autant de références aux madones de la Renaissance qu’au surréalisme du XXème siècle dont il est l’un des plus grands représentants.
Composé au début du XIVème siècle (entre 1303 et 1321), la Divine Comédie est un poème divisé en trois parties : l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis. Chacune est composée de trente-trois chants, à l’exception d’un chant inaugural supplémentaire pour l’Enfer. Le poème raconte le voyage de l’auteur dans l’au-delà chrétien à travers sa descente aux Enfers, la traversée du Purgatoire jusqu’à l’ascension au Paradis et son accession à la divinité. Dante, lui-même narrateur, raconte son égarement et la perte de sa foi, puis son pèlerinage par les mondes spirituels pour retrouver le droit chemin. Dans les deux premières parties, il est guidé par le poète antique Virgile, envoyé par Béatrice, la jeune femme aimée, qui, à sa mort, a intercédé auprès de Dieu pour libérer Dante de ses péchés, puis lui montrera le chemin du Paradis. Virgile en tant que poète le plus sage de l’Antiquité, est ici une allégorie de la raison, nécessaire pour éviter la perdition mais hélas insuffisante pour arriver jusqu’à Dieu ; la foi, que Béatrice représente, est ici fondamentale et permet à Dante d’accéder à la sainte Trinité.
L’illustration du texte de Dante constitue pour l’artiste espagnol un travail de longue haleine – une dizaine d’années – et a connu quelques péripéties. En 1950, la Libreria dello Stato, à Rome, commande à l’artiste espagnol une version de luxe illustrée de la Divine Comédie : cent aquarelles pour les cent chants du poème. Une partie du travail est exposée à partir de 1951 à Rome, tandis que Dalí continue de plancher sur le texte de Dante. Cependant, au bout de quelques années, le gouvernement italien s’offusque que la commande ait été passée à un artiste étranger : le texte de la Divine Comédie doit être illustré par un artiste italien. Le contrat est rompu, Dalí devient le seul propriétaire de son œuvre. Les droits et l’exclusivité en sont achetés par les éditions des Heures Claires en 1959. La gravure sur bois des aquarelles, par Raymond Jacquet, et l’impression sont réalisées sous la direction de Jean Estrade. L’intégralité des aquarelles de Dalí sera exposée au musée Galliera à Paris en 1960.
Le texte de Dante, qui offre un éclairage important sur la conception du monde au temps médiéval, modelée par l’Eglise catholique romane, trouve, avec le talent artistique de Dalí, une résonance nouvelle. Cet ouvrage des éditions des Heures Claires constitue un exemple sophistiqué de la manière par laquelle le style éclectique et décalé de l’artiste espagnol vient enrichir et sublimer l’antique et complexe écriture allégorique de Dante.
6 Jan 2022
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Livres illustrés modernes par François-Louis Schmied et Georges Barbier
Nous sommes dans les premiers jours de la nouvelle année, et avec elle nous accueillons la fin de la période des fêtes. Mais à la librairie Abraxas, c’est Noël toute l’année ! Découvrez ci-dessous les dernières nouveautés pour une sélection spéciale livres illustrés.
Vol de Nuit
Le livre présenté sur l’image ci-dessous fait partie d’un tirage limité à 35 exemplaires imprimés sur vélin en 2014 par Javier Martín Santos. Le fameux texte de Saint-Exupéry constituait initialement le sujet d’un projet de création de l’illustrateur François-Louis Schmied ; cependant, à sa mort en 1941, il n’avait eu le temps de réaliser que 5 aquarelles. Son fils Théo Schmied reprit le flambeau et termina le projet en 1947 ; celui-ci resta inédit jusqu’en 2014, jamais publié. C’est chose faite avec l’éditeur espagnol Javier Martín Santos : ce tirage présente le texte de Saint-Exupéry dans une reliure en demi-peau chagrinée noire, les plats de papier crème illustrés de filets et d’un bandeau bleu nuit traversé par un avion en pleine ascension dans un style typiquement Art Déco. Cet exemplaire, fourni avec son étui, porte le numéro 20 et s’accompagne d’un envoi et d’une esquisse de la main de l’artiste éditeur. Les 29 illustrations en couleurs (dont deux dessins en noir et blanc), parfaits témoignages du style épuré de Théo Schmied, complètent ainsi les aquarelles de son père, dont la patte se révèle plus détaillée. Ce tirage de Vol de Nuit est également augmenté d’un historique de l’édition, et des notices biographiques sur l’auteur et les deux illustrateurs.
Chansons de Tanger
A l’origine, les Chansons de Tanger sont une vingtaine de chants de femmes arabes traduits par Elisabeth Chimenti, traduction destinée à être publiée dans une anthologie sous la direction de Henri Duquaire. Ce dernier en a autorisé la publication pour une édition imprimée en 1939 par François-Louis Schmied au nom de M. Georges Desoubry. A cette occasion, Schmied avait également réalisé 21 illustrations en couleur à la détrempe. Son fils Théo Schmied réalisa la typographie selon la maquette du père. L’exemplaire unique de cette édition a été acquis par la BNF (Bibliothèque Nationale de France) en 1991. En 2013, Javier Martín Santos en réalise un nouveau tirage, un fac-similé limité à 99 exemplaires. L’ouvrage présenté dans l’image ci-dessous est le numéro 40. La traduction originale de Elisabeth Chimenti est augmentée d’un historique et de deux notices biographiques portant sur la traductrice et l’illustrateur, accompagnées de deux portraits photographiques en noir et blanc. Ces derniers ajouts sont également traduits en espagnol ; la traduction espagnole des chants se trouve également en annexe.
La Guirlande des Mois
Peut-être cette appellation vous paraît-elle familière : on retrouve quelques fois ces petits almanachs lors d’une vente, mais il est plus rare de tomber sur la collection intégrale. Nous avons la chance de vous présenter ici les cinq volumes, complets de leur jaquette et étui illustrés à l’exception de l’almanach de la première année 1917. La Guirlande des Mois a été publiée chez Jules Meynial à partir de 1917, en pleine Première Guerre Mondiale, et ce jusqu’à la publication du cinquième almanach en 1921. Cette collection se distingue par le charme et la préciosité de ses reliures, illustrées par des gravures de Georges Barbier imprimées sur soie tissée dans un style Art déco caractéristique des œuvres de l’illustrateur.
Peintre et dessinateur de mode, Barbier a fait carrière au début du XXème siècle. Il exposa régulièrement au Salon des artistes décorateurs. Il travailla souvent pour des revues de mode : le Journal des dames et des modes, la Gazette du Bon Ton, Femina, Vogue France… Il a également fait des incursions dans les mondes du théâtre, du music-hall et du cinéma en étant l’auteur de nombreux décors et costumes : Barbier est à l’origine des costumes portés par Rudolph Valentino dans le film Monsieur Beaucaire réalisé par Sidney Olcott en 1924.
Son style fleuri et printanier, les silhouettes déliées des figures féminines, les entrelacs alambiqués, que l’on retrouve avec la Guirlande des Mois, sont représentatifs du mouvement Art Déco qui était alors à son apogée lors de la publication des almanachs. On retrouve d’ailleurs, dans chacun des volumes, six planches coloriées au pochoir par l’illustrateur. Mais l’élégance de ces images ne constitue pas la seule particularité de la Guirlande des Mois. En effet, parmi les dessins de Barbier et les éléments que l’on peut s’attendre à trouver dans un almanach (calendrier ou feuilles de notes), les volumes de cette collection contiennent également des textes signés de plumes fameuses : Albert Flament, René Boylesve, Gérard d’Houville, Mme de Noailles, Edmond Jaloux…