Album érotique chinois

Aujourd’hui, la librairie Abraxas vous propose, le temps d’une lecture, un voyage artistique aux confins de l’Orient, à travers l’histoire millénaire de l’Empire du Milieu. L’érotisme, parmi les cultures asiatiques, a toujours occupé une place prépondérante ; l’analyse du traitement de ce thème par les différentes nations et sociétés, qui ont occupé ou occupent toujours ce continent, constitue un témoignage fondamental des mœurs et traditions de ces communautés. Parmi les pays de l’Est, on connaît principalement en premier lieu l’estampe japonaise, mais l’érotisme a été un sujet important de l’histoire culturelle de la Chine.

Nous allons remonter le temps avec l’ouvrage qui est au cœur de cet article. Sa reliure est à l’image de l’intérieur qu’elle occulte au regard : d’une grande élégance, les plats en bois sont recouverts de soies de différentes couleurs brochées selon un motif floral à quatre pétales. Cet album dit en accordéon (leporello), resté anonyme et de datation incertaine (fin XIXème/début XXème siècle), est constitué de douze aquarelles sur soie accompagnées de leurs serpentes. La grande qualité des couleurs, l’extraordinaire raffinement du trait dépeignent des scènes intimes riches d’une profusion de détails. La précision et la délicatesse des motifs, ajoutées à la noblesse de la soie, sont sublimées par le bel état de conservation de l’ensemble comme en témoigne la vivacité des couleurs.

Les eroticas chinois ne sont pas seulement peints. Ces scènes sensuelles ont été l’objet d’une production prolifique alimentée par une grande diversité de matériaux : porcelaine, ivoire, bronze, sculptures sur bois… Elles sont très facilement reconnaissables : les visages et les corps sont lisses et expriment peu de passion, les gestes trahissent détachement et retenue. Les femmes chinoises se reconnaissent à leurs pieds bandés. Aucune représentation est censurée ou sujet à dissimulation, tout est montré, découvert. Il n’est jamais question d’une vision crue du rapport sexuel, celui-ci est présenté selon la philosophie taoiste : beauté et harmonie fusionnant avec la nature.

Les premiers témoignages d’un art érotique dans l’histoire de l’Empire de Chine qui soient parvenus jusqu’à nous sont datés de la dynastie Han (-206 à 220 après J.C.). Il atteint son apogée du Xème au XVIIème siècle, soit durant la dynastie des Ming qui pratiquaient une politique artistique relativement plus libérale. Les diverses formes qu’adopta cet art érotique, qui se développèrent pendant cette période, outre le plaisir esthétique, n’étaient pas de simples outils d’excitation sexuelle, mais servirent aussi de supports pédagogiques pour l’éducation sexuelle des futures mariées et des couples fraîchement unis.

Ces œuvres d’art apportent des renseignements précieux sur la culture de l’ancien empire chinois. L’attention portée aux détails des jardins, des intérieurs et des architectures qui servent de cadre aux représentations de ces scènes intimes, ainsi que les différents styles des vêtements et des coiffures, sont une indéniable mine d’informations permettant de documenter les modes de vie et les coutumes des Chinois au temps des différentes dynasties impériales.

La prise de pouvoir par les communistes en 1949 entraîne la censure et l’interdiction des scènes érotiques, puis un « nettoyage culturel » qui provoque la destruction d’une quantité innombrable d’objets d’arts et d’une tradition qui aura plus duré plus de 2000 ans. Cinquante ans plus tard, on assiste à un regain d’intérêt pour la sexualité au sein de la société chinoise, alors que l’ancien art érotique est encore considéré comme de la pornographie et donc interdit, une dualité qui témoigne bien du malaise de l’actuel gouvernement chinois par rapport à son passé culturel.

A ce titre, le travail de la nouvelle génération artistique chinoise, héritière des événements de la place de Tian’anmen en 1989, est particulièrement équivoque, tel celui du photographe Ren Hang centré sur la représentation du corps nu et de la question du désir.  Le sujet des peintures érotiques chinoises fait également l’objet d’expositions en Occident : l’artiste allemand Ferdinand M. Bertholet possède en effet la plus grande collection au monde d’objets d’arts érotiques originaires de Chine. Après le musée Cernuschi en 2006, Hong Kong est la première ville asiatique à accueillir, en 2014, une exposition consacrée à cet héritage condamné par le régime communiste chinois, exposition qui sera peut-être le point de départ, pour la République de Chine, d’une redécouverte de son passé culturel.

Pour aller plus loin :

Ferry-M. Bertholet, Concubines et courtisanes, La femme dans l’art érotique chinois, Actes Sud, 2014

Ferry-M. Bertholet, Les jardins du plaisir. Erotisme et art dans la Chine ancienne, Philippe Rey, 2003

Love, Ren Hang, exposition à la Maison Européenne de la Photographie, 2019