5 Avr 2017
« Les 1001 nuits », illustré par Lucien Laforge
Rendez-vous cette semaine à la croisée de deux univers : l’Orient exotique des « Mille et une Nuits » et un illustrateur français à contre-courant de son époque. La trouvaille que nous souhaitons partager avec vous cette semaine : « Les 1001 nuits » de 1912, illustré par Lucien Laforge, ou quand les contes traditionnels rencontrent le trait d’un dessinateur avant-gardiste, cela donne une œuvre unique !
Lucien Laforge, un homme de convictions
C’est à Paris et en 1889 que naît Lucien Laforge, d’une mère peintre de miniatures et d’un père violoniste. Nourri à l’art dès l’enfance, il hésite quelques temps entre devenir musicien professionnel ou bien dessinateur. Il choisit finalement le dessin et suit des cours à l’académie Humbert. Critique, il trouve que l‘enseignement y est trop académique et qualifie le style dominant de pompier. Laforge n’a en effet que peu de goût pour cette tendance prônant la profusion de détails, l’emploi de couleurs trop vives afin de créer un effet sensationnel. Il suffit de regarder quelques dessins du peintre-dessinateur pour s’apercevoir que son style se situe aux antipodes de celui de son époque.
En 1910, il commence à vendre ses talents pour plusieurs journaux dits de divertissement (« Tout-Paris »). Cependant, Laforge est un homme engagé et il préfère travailler pour les papiers lui permettant d’exprimer ses idées politique de gauche. On note ainsi sa participation à : « Les hommes du jour », « Le libertaire », « Le merle blanc », « L’Humanité » ou encore « Le Canard enchaîné » pour n’en citer que quelques uns. C’est en tant qu’illustrateur de journaux qu’il gagne (assez pauvrement) sa vie. Bien qu’il continue de peindre en parallèle, ses œuvres ne sont pas reconnues.
Lucien Laforge est un homme de convictions, aux valeurs profondément libertaires et pacifistes. Ainsi, il n’hésite pas à simuler la folie par deux fois afin de se faire réformer en 1915 et 1917. Mis à part quelques confrères (dont Gus Bofa), son oeuvre n’est pas reconnue de son vivant (et assez vite oubliée par la suite). Pour autant, il ne changera jamais de ligne ; qu’il s’agisse de son trait dépouillé ou de son esprit critique (vis-à-vis de la guerre notamment).
« Mais moi je ne suis pas à la mode […] je n’aime que la vie et la liberté. »
Le style avant-gardiste de Lucien Laforge
Outre le dessin d’humour et politique, Laforge illustre aussi quelques classiques, de Baudelaire à Perrault, en passant par Descaves et Rabelais. Trois oeuvres en particulier sont à retenir : « Ogier le Danois » (1913), « Les 1001 nuits » (1912) et « Le film 1914 » (1922). Pour les deux premiers ouvrages, Laforge met de côté son mordant pour s’adresser aux enfants. Le dernier dépeint quant à lui les horreurs de la guerre et la bêtise des hommes.
Vous l’aurez compris, notre dessinateur se distingue par son style unique, que l’on pourrait qualifier d’épuré, de dépouillé, sans fioritures aucune. Nous l’avons en effet mentionné plus tôt, Laforge a en horreur le style baroque et chargé de son époque. Au fil des années, Laforge ne cesse de simplifier son dessin, de réduire au minimum le décors et les détails pour au final ne garder que l’essence de l’idée qu’il souhaite partager. Le dessin gagne alors en puissance, en pureté et marque le lecteur durablement. Il est alors le seul à travailler de cette manière (excepté peut-être Grove), allant alors à l’encontre totale de la mode d’alors.
Ses illustrations pour la jeunesse nous permettent de voir les dessins de Laforge en couleurs, un art qu’il maniait également avec brio. Vous pouvez apercevoir dans nos photos son trait caractéristique. Et l’on peut imaginer grâce aux couleurs et à quelques tableaux présents dans le livre, le peintre qui se cache derrière le dessinateur. Laforge a également dessiné un abécédaire (cf notre article qui lui est consacré). Enfin, il aimait aussi se prêter à l’exercice de l’ex-libris dont voici un bel exemple !
C’est en 1952 que Lucien Laforge décède des suites d’un AVC, dans l’indifférence générale. Probablement écœuré par l’arrivée de la Seconde Mondiale, il avait cessé de dessiner.
5 Juil 2017
0 Comments
Le Cabinet des Fées de 1785, ou quarante volumes de contes sauvés de l’oubli
Cette semaine, Abraxas-Libris souhaite partager avec vous plus qu’une oeuvre littéraire, mais un pan entier de notre oralité : « Le Cabinet des Fées »*. Cette série monumentale compte pas moins de 41 volumes et compile des centaines de contes que nous ont légués nos aïeux. Un homme est à l’origine de ce travail extraordinaire de collecte: le chevalier Charles-Joseph de Mayer. Résultat, les récits d’auteurs désormais classiques comme Charles Perrault ou Jean-Jacques Rousseau côtoient les contes d’illustres anonymes. Il était une fois…
Un extraordinaire travail de compilation !
L’auteur de cette initiative se nomme Charles-Joseph de Mayer et est né à Toulon en 1751. Ce chevalier a plusieurs cordes à son arc, dont les métiers d’éditeur et de polygraphe (un rédacteur généraliste de l’époque). Il participe de ce fait à plusieurs projets : en travaillant au Mercure de France mais aussi à la Bibliothèque universelle des romans du marquis de Paulmy (1775). Ce dernier a déjà entamé un travail semblable de collecte de contes de fées. C’est qui ce incite de Mayer à continuer la quête de son côté et à faire paraître le fruit de son travail entre 1785 et 1789 ; il s’intitulera « Collection choisie des contes de fées ou autres contes merveilleux » plus simplement appelée « Le Cabinet des Fées ». La quête du chevalier consiste à recueillir les contes populaires parvenus jusqu’à son siècle et ainsi les sauver de l’oubli. Attention, le compilateur ne se contente pas de consigner tous les contes auxquels il a accès. Il suit une ligne éditoriale en excluant notamment les contes jugés licencieux. De Mayer donne en effet beaucoup d’importance à l’aspect « éducatif » des contes. Il s’exprime ainsi dans sa préface :
« La morale mise en action, & présentée sous les traits de la fiction, est certainement l’idée la plus heureuse pour faire couler sans force & sans gêne les sentimens de la vertu dans un jeune cœur.«
Par ailleurs, les contes étrangers (orientaux principalement) sont bien représentés car source d’inspiration pour beaucoup d’auteurs français et également très populaires. Il n’y a donc pas de frontières géographiques dans le recueil et il en va de même en ce qui concerne le genre du récit. En effet, ce dernier ne se limite pas au conte de fées, il englobe de façon générale le merveilleux mais comprend aussi les récits non-empreints d’éléments magiques.
Le Cabinet des Fées, tome 1/40 (1785)
Quand Charles Perrault côtoie l’anonymat de la mémoire collective
Aux XVII et XVIIIe siècle, de nombreux auteurs -connus et moins connus, ont déjà écrit voire repris des contes de fées. Voici une liste non-exhaustive de quelques écrivains (ou traducteurs) et contes présents dans « Le Cabinet des Fées ».
Enfin, pour agrémenter ces milliers de pages, notre compilateur a fait appel à M. Marillier, illustrateur de son état et au maître graveur Nicolas Delaunay. Chaque volume est donc accompagné de trois gravures -gravures dont vous pouvez voir un extrait dans le diaporama ci-dessous.
Le travail du Chevalier de Mayer fait écho à un projet cousin d’Outre-Rhin autrement plus célèbre: celui des frères Grimm qui débuteront leur entreprise vingt ans plus tard. Il s’agit là de la même quête : celle de collecter les contes populaires de leur langue natale afin de sauvegarder leur souvenir et leurs enseignements pour les générations futures.
*Il manque un tome à notre édition qui compte donc 40 volumes.