13 Mai 2021
Colette
Parfois la célébrité d’une personnalité historique nous paraît tellement évidente que nous perdons de vue pourquoi cette personne est connue, ou plutôt que l’aspect le plus essentiel de sa vie s’efface derrière sa réputation ou sa vie privée. Nous connaissons Colette pour la modernité de ses mœurs dans la société conservatrice de la Belle Epoque, mais il est toujours de bon ton de découvrir – ou redécouvrir – la richesse et l’abondance de l’œuvre de celle qui fut directrice de l’Académie Goncourt entre 1949 et 1954.
Sido
Dernière-née d’une fratrie de quatre enfants, Sidonie-Gabrielle Colette grandit dans la maison familiale de Saint-Sauveur-en-Puisaye. Adorée par sa mère, féministe et athée, celle-lui apprend l’art de l’observation. Figure centrale d’une enfance heureuse, Colette lui dédie le roman Sido, centré sur les souvenirs de la pré-adolescence de l’auteure, lancée à la recherche de son identité à travers l’exploration de sa généalogie.
Colette dépeint dans le roman une enfance idyllique autour du souvenir de sa mère, présentée comme la reine du jardin de la maison en Bourgogne. Mythifiée par sa fille, Sido devient, par l’écriture, une force de la nature, le jardin une reproduction miniature du cosmos, et initie Colette aux mystères de l’univers. L’ouvrage illustré par la photographie ci-dessus est publié en 1930 aux éditions Ferenczi et fils, l’année-même de la parution de Sido : il fait partie des 180 exemplaires imprimés sur papier Hollande à toutes marges par l’éditeur. La couverture d’origine a été conservée dans la reliure demi-chagrin à coins réalisée par Girardin, et dont la photographie restitue avec détails le parfait état de conservation et l’élégante sobriété.
La Belle Epoque
En 1893, Colette épouse Henry Gauthier-Villars, dit « Willy », auteur prolifique de romans populaires qui s’appuie largement sur les compétences de prête-plumes. Il introduit la jeune femme dans le milieu littéraire des salons mondains de Paris, où elle fait sensation avec sa voix grave et son accent bourguignon. Willy engage sa jeune épouse au rang de ces écrivains anonymes, mais interpellé par son talent naissant, il l’encourage à entamer ce qui sera la série des Claudine. Ces romans, centrés autour du personnage éponyme, figure semi-autographique, ont d’abord été publiés sous le seul nom de Willy, qui a ainsi signé les six premiers textes écrits par Colette, avant leur réattribution postérieure. Séparée de Willy en 1906, parallèlement à son activité d’écrivaine, Colette poursuit une carrière au music-hall jusqu’en 1912 afin de gagner sa vie, se produisant au Moulin-Rouge, au Bataclan, en province, dans des pantomimes orientalisantes.
On peut retrouver cette atmosphère caractéristique d’une certaine classe bourgeoise du début du XXème siècle dans la nouvelle Gigi, parue en 1944. L’histoire se situe dans l’univers des demi-mondaines de la Belle Epoque, autour d’une héroïne adolescente qui grandit et évolue dans ce milieu et sur laquelle sa grand-mère, ancienne cocotte, porte ses espoirs d’en faire une courtisane. De multiples fois adaptée au théâtre puis sur les écrans de télévision et de cinéma, Gigi a également servi de source d’inspiration pour nombre d’artistes, à commencer par Mariette Lydis. L’artiste autrichienne a réalisé une quinzaine de gravures à la pointe-sèche pour une édition de la nouvelle de Colette parue en 1948 chez Guillot. Cet in-folio, tiré à 315 exemplaires et dont nous vous présentons un des 50 exemplaires de tête (le n°32), allie la finesse descriptive de la plume de Colette avec la gravure délicate de Lydis, réhaussée par une suite en noir des gravures leur conférant davantage d’intensité.
L’entre-deux-guerres
Colette multiplie les activités après la Première Guerre Mondiale : elle collabore avec Maurice Ravel pour L’Enfant et les sortilèges, préside le jury du concours littéraire La Renaissance pendant plusieurs années, devient la directrice littéraire du journal Le Matin. En 1919, elle rencontre Léopold Marchand, qui sera une figure marquante du théâtre de ces années. Celui-ci adapte Chéri sur les planches en 1921 et La Vagabonde en 1923. La Jumelle noire regroupe l’ensemble des critiques littéraires que Colette a rédigées sur les pièces de Marchand.
Le Midi
C’est aussi l’époque où Colette tombe en amour avec la Côte d’Azur. S’y rendant régulièrement, elle s’installe dans un premier temps à Saint-Maxime puis à La Treille-Muscate près de Saint-Tropez, qu’elle quittera en 1938 en raison de l’affluence grandissante de touristes dans la ville.
Dans le roman La naissance du jour paru en 1928, elle brosse le portrait d’une femme croyant être arrivée à l’apogée de sa maturité et qui décide de se retirer du monde à Saint-Tropez, en compagnie de ses chats, de ses livres et du jardin de sa villa. Mais ce qu’elle prenait pour l’automne de sa vie se révèle en réalité le début d’une nouvelle étape. A la librairie, nous avons la chance de proposer dans nos vitrines un exemplaire de ce roman paru en 1928 et publié par Ernest Flammarion : en reliure demi-chagrin à coins et dos à 5 nerfs, en très bel état malgré le papier bruni, cet ouvrage possède également un envoi de Colette, avec sa signature si caractéristique.
Serge Doubrousky, qui a mis au point le terme moderne d’auto-fiction, attribue à l’auteure un rôle avant-gardiste dans le développement de sa conception :
« Et dans le roman de Colette, La Naissance du Jour, on trouve un personnage de femme âgée qui s’appelle Colette. Ensuite, on apprend qu’elle a écrit les Claudine. Bref, elle s’est mise en scène comme le personnage d’un roman écrit par Colette sur Colette. »
Le Midi constitue également le décor de la nouvelle Bella Vista, écrite en 1937. L’édition présentée en photo ci-dessous fait partie des 250 exemplaires édités par la galerie Charpentier en 1947 sur papier Velin teinté du Marais. Les lithographies pleine page de Jacques Thévenet ajoutent à l’élégance de l’ensemble remarquablement conservé. Le style épuré du contemporain de Saint-Exupéry, de Jean Giono, de Marcel Pagnol, en insistant davantage sur le rendu des visages que sur une restitution minutieuse et réaliste de la scène représentée, s’oppose à la précision descriptive de la plume de Colette. Ce contraste entre l’image et l’écrit, loin d’appauvrir l’un ou l’autre, les nourrit d’une lumière nouvelle.
Figure primordiale du paysage littéraire de la première moitié du XXème siècle, animée par une volonté farouche d’indépendance, Colette est également une pionnière, ayant compris que le succès passait également par l’image : au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, elle est devenue l’écrivain le plus photographié du siècle. Elle s’éteint à 81 ans en 1954 à Paris. Le musée Colette se trouve dans le château de sa ville natale, Saint-Sauveur-en-Puisaye ; la maison familiale, acquise par la Société des Amis de Colette en 2011, est désormais ouverte aux visites depuis 2016.
22 Oct 2023
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De l’envoi : Céline, Cocteau, Aragon, Ionesco et compagnie…
Nous avons le plaisir de vous proposer aujourd’hui un ensemble d’ouvrages qui intéressera les collectionneurs !
Réunissant un envoi autographe pleine-page de Céline, plusieurs de Cocteau, un d’Aragon et un autre de Ionesco (au sein d’une série destinée au couple Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud), mais aussi des envois dessinés, très souvent pleine-page, de Fassianos et de Combas, parmi bien d’autres… Il est notable que certains d’entre-eux aient appartenu à Serge Tamagnot (mentionné dans de nombreux envois), figure de la nuit parisienne et photographe de ses nombreux amis artistes comme Marcel Jouhandeau ou Violette Leduc.
À la lumière du jour de Constantin Cavafy illutstré par A. Fassianos, Fata Morgana (1989), avec un bel envoi et dessin de Fassianos où tous les éléments sont réunis, les symboles iconiques de l’artiste, la date, la signature et le destinataire Serge Tamagnot.
Le premier élément remarquable de cet ensemble est une réédition (de 1952) de la thèse de médecine que Céline soutint en 1924 (paru chez Gallimard en 1937) : Semmelweis. Celle-ci traite du médecin obstétricien hongrois éponyme, précurseur de Pasteur dans le combat contre les microbes en milieu hospitalier. Il ne réussit malheureusement pas à convaincre le milieu médical de son époque de l’importance capitale de se laver les mains entre deux interventions, pour éviter la contamination, notamment entre une dissection et un accouchement. Cet ouvrage est considéré comme le premier texte littéraire de l’auteur qui s’il ne déploie pas toute son ampleur, montre déjà une partie de son talent et de sa ferveur dans le récit de vie de cet avant-gardiste incompris, en partie à cause de son caractère envahissant. L’envoi autographe dont nous disposons est d’autant plus intéressant qu’il est dédié à un « confrère », inconnu du grand public mais que l’écrivain-médecin semblait tenir en haute estime. D’ailleurs si Céline s’est souvent refusé à dédicacer ses œuvres pour des gens connus, il a écrit plusieurs envois à des « gens ordinaires ». De plus notre exemplaire est un service de presse.
Semmelweis, de Céline, Gallimard, 1952, faux-titre de l’ouvrage, avec la mention S.P pour Service de Presse.
Envoi autographe pleine-page de Céline : « A notre cher confrere […] ».
Dans un autre registre, notre ensemble comporte également plusieurs ouvrages de Jean Cocteau dédicacés par l’auteur à différentes personnes mêlant sa vie artistique et intime, on y retrouve : Arthur Pétronio, inventeur de la Verbophonic (un mouvement proche de la poésie lettriste et sonore) et le couple de théâtre et de cinéma Renaud-Barrault « en vieil ami ». À cela s’ajoute une édition originale de La Belle et la Bête, Journal d’un film (1946) avec un envoi autographe et dessin originale de Véronique Filozof (artiste dont Cocteau fut l’ami et le mécène et à qui il avait écrit : « Je te dis « tu » parce que j’aime ce que tu fais » en découvrant son travail). Cette dernière y relate une soirée en compagnie mondaine, en présence de Jacques Prévert et Max Jacob entre autres, où les personnages du film sont mentionnés, exposition ou soirée privée elle eut lieu dans le quartier latin, rue Danton.
Plain-chant, de Cocteau, librairie Stock, 1923, avec cet envoi touchant de Cocteau à un autre poète expérimentateur formel dont le travail n’est pas sans rappeler les réflexions du groupe « des Six », avec lequel Cocteau a œuvré avant la guerre.
Le cordon ombilical, souvenirs de Cocteau, Plon, 1962, sobre envoi de l’auteur où l’on perçoit l’amitié simple qui l’unit à ce couple mythique.
La Belle et la Bête, journal d’un film de Cocteau, J.B Janin, 1946, avec un dessin original de Véronique Filozof où l’on reconnaît une parenté avec le « style Cocteau », terminant un envoi intéressant sur 3 pages.
On retrouve aussi plusieurs autres envois dédiés au couple mythique Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud sous la plume de Ionesco, Aragon et Triolet où l’on perçoit à la fois complicité et admiration, pour ces deux figures majeures de la vie artistique parisienne du siècle dernier. On peut rappeler que le couple joua et mis en scène plusieurs pièces d’Ionesco ainsi que de Beckett, particulièrement apprécié de Madeleine Renaud qui créa notamment la Winnie de Oh les beaux jours.
Le roi se meurt de Ionesco, Gallimard, 1963, envoi fort intéressant de Ionesco, où se mêle « admiration », « sentiment de culpabilité » et « affection » pour le couple avec qui il a collaboré à plusieurs reprises.
La semaine sainte d’Aragon, Gallimard, 1958, dédicace charmante de l’auteur au couple Renaud-Barrault où il mentionne son entrée au Palais-Royal avec Elsa Triolet ainsi que le fait qu’ils aient « 30 ans à [eux] deux ». Avec une touchante remarque sur leur amitié partagée.
Les manigances d’Elsa Triolet, Gallimard, 1962, on trouve une belle formule d’Elsa Triolet dans cet envoi faisant référence au titre de l’ouvrage et à leur amitié : « ces fausses manigances, cette vraie amitié ».
On retrouve Cocteau et Claudel (un des pères de substitution de Jean-Louis Barrault), entre autres, au sein de la bibliothèque de Serge Tamagnot. Ce dernier collectionna nombres d’ouvrages variés mais souvent liés à ces amitiés et admirations, on y trouve par exemple une édition originale de La batârde de Violette Leduc, en japonais. Il en fut proche et ce particulièrement au soir de la vie de l’autrice. Alekos Fassianos semblait également tenir une place importante dans le cœur de Tamagnot qui posséda nombres de ses ouvrages dédicacés et truffés d’invitations pour ses expositions dans diverses galeries parisiennes. La liste est trop longue pour que l’on soit exhaustif mais citons tout de même deux ouvrages assez singuliers, un exemplaire du Tirésias de Théophile avec un montage d’image érotique de Marcel Jouhandeau pour Serge Tamagnot, daté et signé du 21 mai 1977 ; ainsi qu’une édition originale d’Encore un instant de bonheur d’Henry de Montherlant, à laquelle a été collé sur la garde le manuscrit d’une version antérieur d’un des poèmes de l’œuvre, intitulé : « Le Bonheur ».
La bâtarde de Violette Leduc, édition originale japonaise (1967).
Fragments homériques d’Alekos Fassianos, Syrmos (1993), beau dessin pleine-page de l’artiste avec envoi autographe « pour Serge ».
Belle invitation lithographiée dans les ateliers Michel Cassé, pour une exposition de Fassianos à la Galerie Pudelko à Bonn en Allemagne, signé et daté par l’artiste pour Serge Tamagnot truffant Le mythe à bicyclette de Fassianos également.
Tirésias de Théophile, Jean-Jacques Pauvert (1977), première partie du montage-collage de Marcel Jouhandeau pour Serge Tamagnot reprenant un dessin d’Élie Grekoff réalisé pour le Tirésias de l’auteur en 1954, la deuxième partie sur la page suivante est également une gravure de Grekoff, érotique cette fois-ci.
Manuscrit intitulé « Le Bonheur » d’un des poèmes du recueil Encore un instant de Bonheur de Montherlant, Grasset (1934), renommé « Il fait beau » dans la version définitive.
Sailors & Sea de Pierre et Gilles, Taschen (2005), envoi avec dessin du couple d’artiste-photographes Pierre et Gilles pour Serge Tamagnot.
À cela s’ajoute quelques très beaux ouvrages illustrés de poèmes de Rimbaud ainsi qu’une édition originale de la première édition collective des Illuminations et d’Une saison en enfer avec une préface de Paul Verlaine.
Les Stupra, Album dit Zutique (extraits) de Rimbaud, L’Angelot Maudit Paris (1948), avec 17 gravures érotiques, encore très modernes, de Jean-Paul Vroom. Édition à petit tirage, 75 exemplaires, ici le n°62.
Achevé d’imprimer de cette rare édition « sous le manteau » des Stupra de Rimbaud, édité « aux dépens d’un groupe de bibilophiles » avec cinq impressionnantes gravures pointes sèches, présumées comme étant de Tavy Notton, en 1943 à Grenoble.
Belle édition du poème Les poètes de sept ans de Rimbaud, GLM (1939), avec sept superbes gravures pointes sèches de Valentine Hugo et une préface de Paul Eluard.
Illustration de Valentine Hugo pour Les poètes de sept ans.
Première édition originale collective des Illuminations et d’Une saison en enfer de Rimbaud, Librairie Léon Vanier en 1892.
Préface de cette première édition collective, écrite par Paul Verlaine et reprise de la première édition des Illuminations en 1886.
Vous avez ainsi pu voir l’intérêt que présente cet ensemble d’ouvrages comportant de nombreux envois particulièrement intéressants, par leurs longueurs et leurs teneurs, ainsi que de beaux dessins originaux pleine-pages ! Et nous avons l’honneur de vous en proposer d’autres encore, que nous ne vous avons pas révélé dans cet article mais que vous pouvez retrouver sur notre site ! Parmi-eux un curieux envoi sur deux pages de Marcel Jouhandeau à Jean-Louis Barrault à propos d’un jeune homme, ainsi qu’un autre de Daniel Boulanger semblant badiner avec Madeleine Renaud …
Alors n’hésitez pas à y faire un tour !