5 Avr 2021
La Petite Bibliothèque Blanche
Les vernophiles ont peut-être connaissance de cette collection d’enfantina, plus confidentielle que ses pendants les plus populaires : les incontournables Bibliothèques Rose, Verte ou Rouge & Or. Qui dit vernophile dit J. Hetzel, éditeur phare du XIXe siècle, aux magnifiques cartonnages rouges polychromes, évocateurs d’aventures inoubliables. Nous partageons avec vous l’histoire de cette collection méconnue et quelques-uns de ses spécimens, disponibles dans nos vitrines.
La Petite Bibliothèque Blanche
C’est en 1878 que Pierre-Jules Hetzel intègre la collection dans son catalogue, dans le but de concurrencer son rival de toujours : l’éditeur Louis Hachette, en particulier dans cette catégorie de livres pour enfants. La collection de Hetzel se veut supérieure à celle de son concurrent: des textes de qualité et une reliure de belle facture, le tout pour un prix équivalent ou moindre. Le livre d’étrennes par excellence. Hetzel réussit ce pari en piochant dans son catalogue des titres dont sa maison d’édition a acquis les droits, il en va de même pour les gravures. Ainsi près de la moitié des 24 titres publiés entre 1878 et 1881 sont issus de la précédente collection du « Magasin d’Éducation et de Récréation« . Il a aussi l’idée de vendre des droits de traduction sur certaines œuvres pour financer son projet. Malgré cette politique ambitieuse, les tirages ne cessent de baisser au fil des années, passant de 6000 à 2000 exemplaires en une décennie. Ce qui n’est pas pour déplaire au collectionneur d’enfantina.
Mais pourquoi « blanche », quand les couvertures que l’on a sous les yeux sont tout sauf… blanches?
Le titre de la collection fait en fait référence à la couleur blanche des ouvrages dans leur version brochée.
En 1914, lors du rachat de la maison J. Hetzel par Hachette à la mort de son fondateur, la Petite Bibliothèque Blanche deviendra littéralement blanche avec son cartonnage papier au décor floral.
Note particulière à l' »Histoire du Véritable Gribouille » de George Sand, dont voici la mention d’édition: « Paris, publié par E. Blanchard, ancienne librairie Hetzel, rue Richelieu, 78. 1851 ». Suite au coup d’état du 2 décembre 1851, P.-J. Hetzel est contraint de s’exiler pendant deux ans en Belgique. Il y continuera clandestinement sont travail d’éditeur. Par la suite, ce titre sera repris dans la Petite Bibliothèque Blanche.
Enfin, un petit mot pour nos vernophiles. Nous venons de recevoir notre catalogue dédié à George Roux, illustrateur de Jules Verne, édité par la Médiathèque de Sèvres. Et surprise, un de nos anciens exemplaires y figure : « L’épave du Cynthia » (1885) !
Si vous souhaitez vous inscrire à notre Newsletter, veuillez cliquer ICI. Choix d’abonnement en fonction de vos centres d’intérêt (Bretagne, Livres Illustrés, Pléiades…).
17 Fév 2023
0 Comments
Jack London, pour nous, c’est l’Amérique.
Quand on pense à Jack London, on pense immédiatement à Croc-Blanc, L’appel de la forêt, Construire un feu, on pense au Klondike et au Yukon, à des chiens de traîneaux et des hommes perdus dans l’immensité blanche et hostile du nord américain. On pense à un homme dont la vie vaut la fiction, à l’aventurier baroudeur, au marin intrépide qui du Razzle-Dazzle au Snark n’aura eu de cesse de naviguer et d’explorer.
On peut aussi éventuellement penser au Talon de Fer, qui aurait, paraît-il, marqué Trotsky, à son investissement socialiste donc, dans des États-Unis en pleine mutation industrielle.
Cependant on pense en général moins à La Peste écarlate ou au Vagabond des étoiles, à Avant Adam ou encore à Mille fois mort où l’auteur explore autant l’horreur, le récit fantastique que la science-fiction.
Mais voilà justement ce qu’a été Jack London, un écrivain polymorphe et protéiforme, au sommet de son art dans la nouvelle mais qui se tenta aussi au théâtre (sans grand succès), écrivit un peu de poésie, des essais ou encore des reportages de voyages, de guerre, de société et bien évidemment, des romans. Un auteur très prolifique, avec presque 200 nouvelles et plus d’une vingtaine de romans, qui écrivait inlassablement, où qu’il soit, ses 1000 mots par jour.
Il fut aussi avec Mark Twain, l’un des premiers auteurs américains millionnaires ; ce qui vient ajouter à cette aura d’un artiste-aventurier, issu des classes populaires qui par son vécu et son travail acharné parvient au succès. Une sorte de self-made man qui aurait arraché son dû à la vie à la force de son bras et de son talent.
Cependant si sa ténacité et son obstination sont remarquables elles auront aussi abîmés sa santé, il entretint un rapport compliqué à l’alcool (qu’il analyse dans son récit fortement autobiographique John Barleycorn et qui n’est pas sans rappeler un autre auteur américain très prolifique, Stephen King) et fut physiquement marqué par ses voyages, du scorbut au Klondike aux maladies tropicales durant ses expéditions à bord du Snark…
Il mourra ainsi le 22 Novembre 1916 à 38 ans sur le porche de son ranch en Californie, des suites de problèmes rénaux aiguës et d’une prise de morphine en auto-médication trop forte.
Il ne faut pas oublier non plus qu’il est pleinement le fruit de son époque, du braconnage d’huîtres à la ruée vers l’or, du travail en usine aux vagabondages du rail, des reportages dans les bas-fonds de Londres à ceux sur la guerre russo-japonaise.
Il aura été à la fois l’artisan et le bénéficiaire de l’explosion des journaux papiers du début du XXème siècle aux États-Unis. Il se sera notamment vu publié dans le San Francisco Examiner (comme Mark Twain), journal par lequel William Randolph Hearst, figure mythique de la presse américaine (qui inspira notamment le Charles Foster Kane du Citizen Kane d’Orson Wells), commença son empire.
On peut ainsi voir dans Jack London un de ces personnages bigger than life qui ont marqué cette époque et ont participé à créer le mythe américain.
Un aspect qui nous fascine et qui se retrouve questionné aujourd’hui à travers une réinterprétation de l’auteur et son œuvre. Notamment au travers des rééditions et traductions corrigées de ses œuvres quasi-complètes chez Phébus-Libretto et son entrée dans la Pléiade en 2016, où l’on cherche à explorer la complexité du réel derrière le mythe.
D’un point de vue théorique il aura autant été marqué par le darwinisme que le socialisme et se sera retrouvé en permanence à réfléchir autour du thème de l’affrontement : « Avec la nature, les forces hostiles de la nature, affrontement de classes, mais aussi entre les sexes et contre soi-même.[…] C’est le romancier qui a le mieux exposé tous ses champs de bataille sans finalement vraiment choisir son camp. Il a laissé toutes ses forces conflictuelles s’exprimer. Je crois que cet aspect chaotique, archaïque et primitif, est le fondement de sa personnalité, c’est l’une de ses plus grandes singularités — la mise en scène d’un monde de pulsions permanentes entre lesquelles il ne choisit pas et qu’il n’ordonne pas. », comme l’exprime Philippe Jaworski dans un entretien pour le site de la revue Historia, à l’occasion de l’entrée de London dans la Pléiade.
Malgré cela, bien qu’il fût très populaire en son temps et qu’il l’est encore aujourd’hui, il semble ne pas avoir réussi à s’installer dans le panthéon littéraire américain comme a pu le faire Twain, selon Jaworski encore : « Il est considéré au mieux comme un naturaliste mineur dans la mouvance de Zola. Bien qu’il soit un écrivain très américain, les Américains ont du mal à se reconnaître dans ce rapport très ambigu à la violence primitive, archaïque. ».
Et peut-être est-ce là une des grandes spécificités de London, de s’être confronté à des impensés de la société états-unienne qui sont pourtant fondateurs de son histoire, la violence et le rapport à l’autre autant que la violence dans, par, le rapport à l’autre, que cela soit des hommes envers les hommes (Le peuple de l’abîme, Mille fois mort), des hommes envers les animaux et des animaux envers les hommes en retour (le dyptique Croc-Blanc, L’appel sauvage).
Et peut-être est-ce en effet ce qui l’empêche de pleinement prendre sa place dans le paysage littéraire nord-américain mais aussi ce qui nous fascine tant ici, en France.
On peut considérer trois grands moments dans la vie des œuvres de London en France, les premières traductions importantes de Louis Postif (parfois assisté de Paul Gruyer) pendant l’entre-deux-guerres, principalement publiés chez Hachette (notamment dans la fameuse Bibliothèque verte) et Les éditions G. Crès & Cie ; les rééditions en 10/18 et chez Bouquins à la fin des années 70, autour desquelles la présence de Francis Lacassin donne une lecture plus orienté politiquement, une importance plus grande est alors donné à cette part de son œuvre au travers de textes comme Révolution, texte d’une conférence donné par l’auteur à Harvard et retraduit à l’occasion par Jacques Parsons ; et enfin la grande entreprise de réédition réalisée par Phébus-Libretto sous la direction de Noël Mauberret, entamée au début des années 2000, qui tente d’apporter au grand public la meilleure et la plus exhaustive des versions possibles de l’œuvre de Jack London.
Mauberret pour cette collection s’appuie néanmoins beaucoup sur les traductions de Postif qui reste celui qui « grâce à un travail acharné » (selon les mots de ce premier) permit à l’auteur californien d’être connu en France et qui avait en fait tout traduit, mais dont les textes avaient été en parties coupés par les éditeurs qui n’étaient d’abord intéressés que par des histoires d’aventures, dont ils occultèrent les passages trop violents ou philosophiques.
Cependant il y a aussi, avec ce travail plus récent autour de l’auteur, une volonté de rétablir la spécificité de son langage, notamment son aspect oral qui n’était pas vraiment dans le canon des traductions de la première période. Frédéric Klein a grandement participé à ce travail de révision des traductions de Postif ou Parsons et a parfois retraduit entièrement l’œuvre quand cela était nécessaire, comme pour L’appel sauvage, nouveau titre évocateur plus proche de l’original Call of the Wild, « sauvage » faisant appel à une notion plus marquée que celle de « la forêt ».
Encore une fois nous pouvons faire le parallèle avec Mark Twain dont les différentes tentatives de retraductions, d’Huckleberry Finn notamment, connurent une histoire similaire (et qui se vu brillamment retraduit par Bernard Hoepffner en 2008 chez Tristram).
Nous pouvons alors nous poser cette question, comme le fait Thierry Jousse dans son émission Blow Up : c’est quoi Jack London ?
Comme nous avons pu le voir, c’est à la fois, l’homme, le mythe, l’auteur et sa résonance dans la société française qui sont convoqués lorsque l’on prononce ce nom. C’est aussi une part de notre rapport à l’Amérique, un pan historique de notre imaginaire contemporain, au même titre que Steinbeck, Twain, Kerouac ou King.
Et nous vous proposons aujourd’hui de vous replonger dans les premières éditions de son œuvre en France avec un lot d’ouvrages publiés chez Hachette et Crès & Cie, comprenant notamment Le peuple de l’abîme, Croc-Blanc, La Croisière du « Snark » mais aussi le Journal de bord du « Snark », écrit par sa femme et qui donne une version complémentaire au texte de l’auteur, ou encore Les vagabonds du rail.