3 Sep 2021
L’art impressionniste
Siècle traversé par les bouleversements politiques à la suite de la Révolution française, transformé par une modernisation galopante calquée sur la vitesse croissante d’une industrialisation forcenée, le XIXème siècle est aussi celui d’une émulation intellectuelle et artistique bouillonnante. Les auteurs romantiques ou naturalistes ont contribué au renouvellement de la littérature et la popularisation du roman ; la photographie, par la fixation du réel sur le papier, a créé un nouveau rapport à la réalité ; les peintres et sculpteurs ont sorti leurs œuvres des murs désuets du Salon de l’Académie française au profit d’une longue suite d’expérimentations, établissant ce qui sera défini, a posteriori, comme une « tradition du nouveau*».
Décrié dès les balbutiements de son développement – le nom du mouvement est une invention ironique du journaliste Louis Leroy, très critique envers le tableau Impression, soleil levant de Monet dans un article de 1874 -, l’impressionnisme a connu depuis un impressionnant retour en grâce. Les œuvres attribuées à cette mouvance picturale font aujourd’hui partie d’un répertoire très populaire. On ne peut séparer le succès que rencontrèrent des peintres tels que Monet, Renoir, Sisley, Caillebotte, Manet, à la fin du XIXème siècle, de la figure de Paul Durand-Ruel. Le marchand d’art, dont le soutien fut décisif à la promotion et à la reconnaissance de ces artistes, a également changé en profondeur le fonctionnement du marché de l’art et le statut de l’œuvre d’art, devenue une valeur marchande et économique.
Portrait de Paul Durand-Ruel par Auguste Renoir, 1910
Le livre de Georges Lecomte, intitulé L’art impressionniste d’après la collection privée de M. Durand-Ruel, publié en 1892, se considère comme une promenade parmi les œuvres du grand marchand d’art. « L’étude de sa galerie particulière renseigne sur cette phase essentielle de l’évolution artistique. Elle nous permettra d’écrire une histoire complète de l’Impressionnisme. » Le texte est dédicacé à Georges Geffroy. Typographié chez Chamerot et Renouard, l’ouvrage compte 272 pages, donc 36 gravures de Lauzet (eaux-fortes, pointes sèches et illustrations) reproduisant des œuvres de Monet, Degas, Pissarro, Renoir… La reliure de cette édition originale et complète que nous vous présentons aujourd’hui a été réalisée chez Morell à Londres.
L’auteur, Georges Lecomte (1867-1958), écrit ce texte au début de sa carrière de journaliste et d’écrivain. Il s’est particulièrement destiné à défendre les intérêts des écrivains : il est à l’origine, en 1907, de la création de la Société des romanciers et conteurs français. Elu membre de l’Académie française en 1924, il en devient le Secrétaire perpétuel en 1946. Lorsqu’il écrit L’art impressionniste en 1892, le style pictural dont il fait le sujet de son livre, qui avait tant fait scandale vingt ans plus tôt, est désormais reconnu et bien établi. Mais la reconnaissance de ces artistes, dont les œuvres furent l’objet de la première Exposition impressionniste de 1874, mit du temps à venir ; « à cette période initiale, un homme se trouva, M. Durand-Ruel, qui comprit l’impressionnisme et risqua, pour le défendre, sa situation commerciale et sa réputation d’expert avisé ».
Durand-Ruel, en 1870, a repris le commercial familial de papeterie et de vente de fournitures d’artistes, et se trouve alors à Londres, la France étant en guerre avec la Prusse. Par l’intermédiaire de Daubigny, il fait la rencontre de Monet et de Pissarro ; de retour en France, ceux-ci lui font connaître Alfred Sisley. C’est le début d’un soutien indéfectible qui s’étend sur les trois décennies suivantes.
Il n’hésite pas à lourdement s’endetter pour subvenir aux besoins de ses amis peintres ; il est soutenu par la banque de l’Union Générale qui lui permet de continuer l’acquisition de toiles. En 1873, le marchand d’art publie un recueil de trois cents eaux-fortes mettant en lien des peintres de l’Ecole de 1830 (Corot, Millet, Dupré…) et les futurs impressionnistes. « A l’exemple de leurs aînés, ces nouveaux venus se préoccupaient d’illuminer leurs toiles de limpides clartés et d’orner leurs compositions des harmonies dont s’enveloppent les aspects de la campagne. » Durand-Ruel organise la deuxième Exposition impressionniste en 1876 dans sa galerie. Mais en dépit des efforts fournis, les toiles impressionnistes ne se vendent pas, et l’Etat français ne se montre pas intéressé. Le marchand d’art est cependant mis à mal par la faillite de l’établissement bancaire en 1882 et mis en demeure de rembourser ce qu’il doit ; il est obligé de vendre des peintures, notamment un stock de l’Ecole de Barbizon, à bas prix.
Sur les conseils de l’artiste Mary Cassatt, Durand-Ruel se tourne vers le marché américain et ses riches philanthropes avec une première exposition qui se déroule à Boston en 1883. C’est le début de la reconnaissance critique et économique ; par effet de ricochet, l’intérêt américain pour les œuvres impressionnistes attire l’attention des amateurs français. Durand-Ruel ouvre une galerie à New York en 1887.
Le marchand impulse une nouvelle dynamique au monde de l’art en l’associant à celui des finances à travers quelques principes novateurs. Il s’assure l’exclusivité du travail des artistes et en assure la promotion à travers la presse et en organisant des expositions individuelles ; il est l’un des premiers marchands d’art français à commercer à l’international en ouvrant des galeries à l’étranger ; il garantit l’accès de tous aux artistes qu’il représente par des visites libres de ses galeries et de sa collection privée.
Durand-Ruel meurt en 1922 ; deux ans auparavant, il reçoit le grade de Chevalier de la Légion d’honneur pour ses services rendus à la vie artistique française. Il dira dans ses Mémoires : « Ma folie avait été sagesse. Dire que si j’étais mort à soixante ans, je mourais criblé de dettes et insolvable, parmi des trésors méconnus… » L’art impressionniste, le livre de Georges Lecomte, retrace avec élégance le long chemin des artistes impressionnistes avant le succès. Il anticipe, par la description de leur influence sur la création artistique la plus actuelle lors de la rédaction du texte, la nouvelle génération d’avant-garde qui fait alors tant parler les critiques, en raison des expérimentations picturales d’excentriques inconnus : Paul Signac, Georges Seurat, Gustave Moreau… Des artistes qui feront partie des collections les plus illustres, à l’instar par exemple de l’homme d’affaires Morozov, aîné d’une famille de collectionneurs et qui fait l’objet d’une exposition à la Fondation Louis Vuitton qui ouvrira ses portes à partir du 22 septembre prochain.
*Harold Rosenberg, La tradition du nouveau, 1959
Pour aller plus loin :
- Paul Durand-Ruel, le pari de l’impressionnisme, exposition au Musée du Luxembourg, octobre 2014/février 2015
- Béatrice Joyeux-Prunel, Les avant-gardes artistiques 1848-1918, 2015, Gallimard
- Exposition « La collection Morozov » à la fondation Louis Vuitton, du 22 septembre 2021 au 22 février 2022
6 Mar 2022
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Folioscope
Le XIXème siècle n’est pas seulement un des grands moments de la littérature ou un siècle marqué par les turbulences historiques, ce sont aussi de grandes avancées en matière scientifique et technique, telle que la mise en mouvement de l’image et par extension la naissance du cinéma. Ces développements se retrouvent également dans les jouets pour enfants de cette époque, jouant sur la perception visuelle et les illusions optiques.
De nombreux objets ont ainsi été inventés pour l’émerveillement des plus jeunes et le divertissement des plus adultes. A ce titre, on peut citer le phénakistiscope, un disque sur lequel la séquence du mouvement est décomposée en plusieurs images fixes, et que l’action rotative de l’objet permet d’animer.
Le praxinoscope, une version améliorée du zootrope, reprend le principe d’une bande de douze dessins disposés en cercle, cette bande étant placée dans un tambour tournant autour d’un axe central. Le praxinoscope se différencie du zootrope par l’ajout de miroirs à l’intérieur du tambour, reflétant les dessins. Le jeu optique est obtenu par la rotation du tambour et l’effet réfléchissant des miroirs.
A ce titre, nous pouvons également citer le thaumatrope, un jouet optique basé sur le phénomène de la persistance rétinienne : une image rémanente sur la rétine. L’illusion d’optique est créée par un dispositif très simple : un disque maintenu par une ficelle qui, lorsqu’il est tourné de manière suffisamment rapide, permet de créer l’illusion par la superposition des images ou dessins figurant sur les deux faces du disque.
Enfin, nous ne pouvons pas parler de jouets optiques sans aborder le sujet du folioscope, autrement appelé flipbook. Il s’agit d’un petit cahier de dessins ou de photographies qui, feuilleté rapidement, crée l’illusion que le sujet représenté est en mouvement.
Apparu à la suite du mouvement des inventions de jouets optiques au XIXème siècle et de la naissance du précinéma, le folioscope n’est pas tombé en désuétude et continue d’être un médium investi, comme le montre la collection « 1868 – Le Folioscope » éditée par la maison Le pouce et l’index en 2003.
Le lot que vous pouvez voir sur la photo ci-dessous contient la quasi-intégralité de la collection, à l’exception du n°13 sur les Shadoks. Les 26 flipbooks disponibles chez Abraxas présentent un état neuf, puisqu’ils sont encore recouverts de leur blister d’origine. Cette collection rare et atypique porte sur plusieurs thématiques : on retrouve ainsi de grands moments de cinéma (la danse serpentine de Loie Fuller, Kirikou et la Sorcière, In the Mood for Love, les Vacances de Monsieur Hulot…), des références à l’histoire de l’art du XXème siècle (Henri Matisse, Salvador Dali…), des grands moments de l’histoire du siècle dernier (la chute du mur de Berlin, le premier Homme sur la Lune, Landru et son geôlier, Mai 1968…). Quoi de mieux qu’un jouet optique pour redécouvrir les moments marquants du siècle qui a vu se développer et se moderniser le cinéma ?