29 Août 2023
Larguez les amarres, voici Gustave Aimard !
« Gustave Aimard, romancier et grand voyageur », on aurait aisément pu y lire : « aventurier ».
Il naît Olivier Aimard le 13 Septembre 1818 à Paris, orphelin adopté, il devient Olivier Gloux à 6 ans. Suite à quelques péripéties, il s’embarque comme matelot à 9 ans, atterrit en Amérique du Sud qu’il remonte jusqu’au Mexique et en Californie. Il aurait été captif d’indiens en Patagonie, « coureur des bois » (entendez trappeur), chercheur d’or et franc-tireur dans la Sonora ainsi que marié à une Comanche dont la tribu l’aurait accueilli pendant 5 années.
De retour en France il se sert de cette matière pour devenir un auteur populaire à succès, se remarie à une chanteuse lyrique, produit de nombreux ouvrages de qualité variable et meurt diagnostiqué, entre autre, de folie des grandeurs dans l’hôpital psychiatrique de Sainte-Anne, au sein de la ville qui l’a vue naître, en 1883.
Si la vie de Gustave Aimard semble bien digne d’un roman, ce n’est pas tout à fait un hasard : la majorité de ces informations nous provenant de ses écrits plus ou moins autobiographiques (principalement Par mer et par terre et en filigrane de toute son œuvre), la véracité de ces éléments reste à prendre avec précaution malgré la confirmation de certains d’entre-eux, dans les quelques travaux de recherches qui lui ont été dédiés (Sur la piste de Gustave Aimard de Jean Bastaire, les articles d’André Pinguet et le n°13 de la revue Le Rocambole qui lui a consacré un dossier de 110 pages sous la direction de Thierry Chevrier).
Nous avons aujourd’hui le plaisir de pouvoir vous proposer une quantité importante de ses œuvres en ligne et dans nos magasins, notamment de nombreux numéros de la collection du « Livre populaire » à 65 centimes publiés par Fayard à partir de 1907. (Re)Plongeons-nous dans cet auteur un peu oublié et pourtant pionnier de la littérature d’aventure sur l’Ouest américain en langue française.
Ainsi, si l’on peut reconnaître qu’il n’a pas totalement disparu de nos mémoires, sa présence y est-elle à la hauteur de son héritage?
Il faut admette en effet, et déplorer peut-être, le talent inégal parcourant son œuvre, notamment à cause de ses nombreuses répétitions : thématiques, stylistiques, voire de passages entiers (comme avec cet exemple frappant : en 1864 il conserve ses textes originaux pour Amyot et procure à Cadot, un éditeur d’appoint, des textes remplis de réemplois, notamment Les Chasseurs d’abeilles dans L’Araucan, victime de son succès il aurait eu du mal à suivre les demandes des éditeurs)… Ce qui ne l’empêchera pas de devenir un des auteurs populaires marquants du XIXe siècle, par l’imaginaire du Far-West et de l’aventure qu’il a grandement participé à apporter et développer en France.
On le retrouve en effet cité par Lautréamont (même si c’est pour l’opposer à ce qu’il considère comme renfermant du « génie ») qui le place aux côtés de Dickens, Hugo et de Landelle (un auteur d’ouvrages maritimes). Il est également présent chez Cendrars qui le cite aux côtés de Bernardin de Saint-Pierre, Wells et Poe comme figures du roman du XIXème siècle et chez Pagnol qui le place au même niveau que Fenimore Cooper (comme source d’inspiration pour ses jeux et créations d’enfants avec son frère Paul dans La Gloire de mon père). Il ne faudrait également pas oublier qu’on lui doit le patronyme et personnage de Valentin Guillois, si cher à Robert Desnos qui l’utilisera même comme pseudonyme pendant la résistance.
Il aura aussi, et peut-être surtout, été l’un des grands inaugurateurs de la figure de l’écrivain aventureux qui deviendra si importante durant la première moitié du XXème siècle. Si nous avons déjà cité Cendrars, on peut aussi penser à Kessel ou encore Jünger mais également, même s’il est peu probable qu’il l’ait lu, à Jack London dont les voyages au Klondike puis au bord du Snark ont rempli nombre de ses livres. Le parallèle est marquant sur plusieurs points : ils sont tous deux orphelins de père ; ont eu une première partie de vie aventureuse marquée par une certaine précarité qui leur a ensuite servie de matière pour une ascension sociale à travers l’écriture et seront révélés par l’apparition de leurs textes dans des journaux ; ils entretiennent également des rapports ambiguës, mais relativement caractéristiques de l’époque, avec l’altérité, y voyant autant de vices que de vertus ; il en est de même pour leur engagement politique qui, s’il est bien présent, est fluctuant et suit le cours de leurs rencontres et expériences, plus que soutenus par un véritable système (libertaire pour Aimard et socialiste pour London, même si chez ce dernier on peut noter une forte prégnance du darwinisme social).
À la différence de London, Aimard n’est pas journaliste mais il parle tout de même parfois de sujets qui lui tiennent à cœur et qui ont été, ou sont, d’actualités, comme avec La Fièvre d’or et Curumilla qui retrace l’aventure du comte Raousset-Boulbon et de sa République de la Sonora en 1852 (à laquelle l’auteur aurait participé) ou la guerre du Mexique, avec Les Gambucinos ci-dessous.
À l’instar de ses contemporains, il publie tout d’abord ses textes dans des périodiques : La Tour des Hiboux dans le Journal pour tous en 1856 et Don Diego de Lara dans le Journal du Dimanche en 1857 ; obtenant le succès en 1858 avec Les Trappeurs de l’Arkansas, ceux-ci sont rapidement repris en volumes par l’éditeur Amyot (Don Diego de Lara l’est sous le nom de Le Chat sauvage dans le recueil Une Vendetta mexicaine, chez Cadot l’autre éditeur d’Aimard à cette époque) puis par Dentu à partir de 1870 avec La Forêt vierge. Ses œuvres seront ensuite rééditées par Fayard en 1907, après un rachat d’une partie des fonds de Dentu qui fait faillite en 1895, cette collection constitue l’ensemble le plus accessible des ouvrages de l’auteur. Elle fait partie de la fameuse série à 65 centimes « Le Livre populaire », initiée par Arthème Fayard fils en 1905 qui durera jusqu‘à la première guerre mondiale. Toutes les couvertures y sont superbement illustrées par Georges Conrad, collaborateur de nombreux périodiques de l’époque comme le Journal des voyages, Mon Journal ou La Vie illustrée. Il composa également de nombreuses couvertures de romans populaires pour Hachette et Fayard, dont des séries de Jules Lermina, continuateur des Mystères de Paris d’Eugène Sue et du Comte de Monte-Cristo de Dumas entre autres. Fayard ressortira ses aventures découpées et édulcorées en fascicules dans les années 30, à destination d’un public plus jeune et on retrouve Les Trappeurs de l’Arkansas au sein de la Bibliothèque rouge et or à l’orée des années cinquante, même si l’auteur a alors perdu de son aura.
Nous avons donc pu voir l’apport d’Aimard à la littérature d’aventure et sa place de choix dans les éditions populaires jusqu’à la Grande Guerre, ainsi que l’importance en filigrane de sa postérité, chez les écrivains du début du XXe siècle notamment.
Alors n’hésitez pas à mettre la main sur un de ces ouvrages historiques, qui le sont autant par le fond que par la forme, et embarquez-vous avec ce cœur aventureux de la Lorraine au Mexique en passant par le Brésil et les Caraïbes!
(Nous vous conseillons également, si vous voulez approfondir le sujet: Sur la piste de Gustave Aimard, Trappeur quarante-huitard, de Jean Bastaire, édité par Les Belles Lettres ; cette belle synthèse sur Gallica ainsi que cet article disponible sur openedition.)
22 Avr 2024
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De la ruche et des « mouches à miel » : un état des lieux de l’apiculture en France au XIXe siècle
Page de titre de l’ouvrage Culture Raisonnée, facile et économique des mouches à miel, par De Lasalle (1880 d’après la BNF), sous-titré « Attrait et profit », où l’on peut voir la gravure d’une ruche « traditionnelle » de l’époque.
Abraxas vous invite aujourd’hui à explorer le regain d’intérêt qui s’opère autour de l’apiculture et de la figure de l’abeille à partir de la seconde moitié du XIXè siècle en France (et ailleurs), à travers 4 ouvrages : Le rucher de J. Auguste Marcellin, paru en 1866 à compte d’auteur ; Culture raisonnée facile et économique des mouches à miel par De Lasalle en 1880, à compte d’auteur également ; La première ruche (vendu) d’Eugène Jobard en 1889, à l’imprimerie du Bien Public à Dijon et les deux premiers numéros de la revue Le Rucher : Organe illustré de la société d’apiculture de la région du Nord de 1890 (portant sur l’exposition universelle de 1889 et vendu également). On y retrouve les abeilles bien sûr, figures à la fois symboliques et pratiques de la nature mais aussi les hommes dans les rapports qu’ils entretiennent avec elles.
Si les produits de leur labeur, le miel et la cire, sont utilisés depuis fort longtemps (on en trouve la mention dès l’Égypte antique), la connaissance de leur apport primordial dans nos écosystèmes en tant que pollinisateur particulièrement efficace, est plus récente. Il faut remonter aux travaux de naturalistes et botanistes allemands (Kölreuter et Sprengel) de la fin du XVIIIe siècle pour trouver des études scientifiques sur ce phénomène qui seront par la suite reprises par Darwin dans la deuxième partie du XIXe siècle.
C’est à cette époque que vont également se développer de nouvelles techniques d’apiculture et ce particulièrement chez les anglo-saxons, comme cela nous est indiqué dans le n°1 et 2 de Le Rucher : Organe illustré de la société d’apiculture de la région du Nord de 1890, on y trouve également des allusions chez De Lasalle. Plusieurs apiculteurs français, professionnels ou passionnés, en prennent exemple pour critiquer les traditions françaises sévissant jusqu’à cette époque comme « l’étouffement » qu’ils n’hésitent pas à qualifier de « barbares » (termes que l’on retrouve chez Marcellin notamment), mais également pour en tirer des parallèles allégoriques s’inscrivant dans une tradition remontant à l’antiquité, chez Aristote et Virgile par exemple.
Intéressons nous d’abord aux ouvrages plus théoriques de cette sélection.
Pages faisant la jonction entre la première partie du Rapport sur l’apiculture à l’exposition universelle de 1889 concernant la section française et la seconde dédiée à la section étrangère, plus fournie en gravures.
En premier lieu : Le Rucher, Organe illustré de la Société d’Apiculture de la Région du Nord, n°1 et 2 : Rapport sur l’apiculture à l’exposition universelle de 1889, Présenté à la Société d’Apiculture de la Région du Nord de la France par M. Gustave Rifflart, Employé à la Mairie d’Amiens et Membre de la Société (vendu). Cette petite reliure de 71 pages fait état des différents exposants présents à la section d’apiculture de l’Exposition universelle de 1889 ayant eu lieu à Paris.
On y trouve entre autres, dans la partie française, la présence de « Deyrolle, Émile, naturaliste, 46, rue du Bac, Paris » (entrée n°16, p.10) dont l’auteur admire la qualité des équipements et objets d’études, parmi lesquels se trouve une maquette d’abeille d’1m20 de long ; ainsi que la création d’un certain M Robert (entrée n°48, p.25 ) qui a étagé ses rayons de manière à représenter une tour Eiffel, monument iconique de cette exposition. Il est d’ailleurs amusant de noter que le rapporteur loue plus la qualité du miel présent dans ces rayons que la ressemblance avec la tour elle-même.
M. Rifflart profite de cette occasion pour partager des considérations générales sur l’état de l’apiculture en France, y déplorant une prédominance de la méthode dite « fixiste » (où les abeilles sont libres de fixer elles-même leurs rayons) à défaut de celle dite « mobiliste » (où l’on utilise des cadres en bois prévus à cet effet) plus en vogue aux États-Unis et au Royaume-Uni. Indice représentatif d’un changement qui arrive trop lentement et d’un retard technique des producteurs français selon lui. Les États-Unis occupent d’ailleurs une place importante dans l’ouvrage, 20 pages et 9 gravures pour 22 exposants et si la Grande Bretagne ne compte qu’un exposant, 6 pages lui sont consacrées avec 12 gravures soit plus d’un tiers de la totalité (29 pour les ruches et objets associés plus 2 d’exploitations, une grecque et une britannique).
3 ruches présentes au sein de la section états-unienne, la ruche Simplicité, la ruche à portique et la « Lawn hive » ou ruche à pelouse. On y remarque la similitude entre la « Simplicité » (en haut à gauche) et les ruches modernes.
Gravures concernant la section britannique où l’on peut observer une presse à extraire le miel (en haut à gauche) ainsi qu’un couteau à désoperculer et un éperon à incruster le fil de fer dans la fondation des cadres juste en dessous. On peut également y observer une gravure représentant une exploitation apicole bucolique contrastant avec celle plus industrieuse ouvrant la partie concernant la Grande-Bretagne, quelques pages auparavant.
Publié dix ans plus tôt, la Culture raisonnée facile et économique des Mouches à Miel par M. de Lasalle (sans date, 1880 d’après la BNF) est d’un autre genre.
« Mouches à miel », titre abrégé de ce traité de Culture raisonnée facile et économique des mouches à miel, édité à compte d’auteur par De Lasalle en 1880.
Défini en tant que « Traité pratique » par l’auteur dans sa préface, destiné d’abord aux : « curés, instituteurs, employés des canaux et des chemins de fer, cultivateurs, ouvriers, journaliers etc. » qui « pourraient aisément, sans rien négliger de leurs travaux habituels, augmenter sensiblement leurs ressources en y adjoignant le revenu d’un petit rucher » ; il s’adresse également « à l’universalité des lecteurs ».
De Lasalle y résume ainsi son ouvrage : « il y a renfermé [parlant de lui] toutes les connaissances théoriques nécessaires pour la culture raisonnée des mouches à miel, l’explication de toutes les méthodes économiques, même les plus nouvelles, qui ont été sanctionnées par l’expérience, et la description exacte de toutes les opérations pratiques que l’apiculteur peut être conduit à exécuter : sous ce triple rapport, l’ouvrage est au courant des plus récentes notions certaines qui soient acquises sur les abeilles. »
L’auteur se révèle fidèle aux promesses de sa préface. Au fil de ces 312 entrées réparties sur 9 chapitres, est présenté de manière succincte et didactique tout ce que l’apiculteur de l’époque (mais qui est en grande partie valable également pour celui d’aujourd’hui) doit savoir : exploration d’une ruche occupée par des abeilles, description de sa composition, de ses rythmes, conditions et pratiques de l’essaimage « naturel » et « artificiel », moyens de récolte, préparation de ses produits, détail mois par mois des travaux apicoles à effectuer, descriptions et prescriptions des maladies et dangers menaçants la ruche ainsi qu’un point sur la législation en vigueur alors.
On se retrouve ainsi avec une précieuse synthèse de savoirs relatifs à l’apiculture, à la fois historiques et pratiques.
Si les 2 ouvrages précédents sont remarquables pour les témoignages factuels et techniques qu’ils proposent, les 2 prochains possèdent un élément plus surprenant mais particulièrement intéressant : le recours à la narration comme ressort didactique.
Couverture de La première ruche, d’Eugène Jobard (1889), sur laquelle on retrouve l’image d’une ruche conique traditionnelle comme en harmonie avec le paysage, entourée d’une végétation luxuriante et de nombreuses abeilles, illustrant la thèse que l’auteur va allégrement développer dans l’ouvrage.
En effet, l’Utilité des abeilles, La Première Ruche (vendu) d’Eugène Jobard, publié par l’imprimerie du Bien Public à Dijon en 1889, se présente comme la continuation d’une « petite brochure » nommée Utilité des abeilles, d’abord imprimée et distribuée par les soins de l’auteur. Celle-ci narrait le retour de ce dernier dans son village d’origine, « vivement frappé par la stérilité des arbres fruitiers » et comment il y remédia par la réhabilitation du rucher de la maison paternelle. Il semblerait que celle-ci ait rencontré un grand succès par sa recension dans un article du Petit Journal ce qui, toujours selon les dires d’Eugène Jobard, aurait créé un engouement telle qu’il fut amené à en écrire un ouvrage plus complet. Constatant qu’il n’aurait pu que « rédiger un traité qui n’eût été qu’une simple compilation » il résume ainsi sa démarche : « J’ai réfléchi longuement, et le mieux me parut être de raconter tout simplement ce que j’ai vu, ce que j’ai fait. Et je dirai avec La Fontaine : Mon voyage dépeint / Vous sera d’un plaisir extrême. / Je dirai : J’étais là ; telle chose m’avint. / Vous y croirez être vous-même. »
C’est donc cette édition remaniée et augmentée que nous avons le plaisir de vous présenter aujourd’hui. Si l’ouvrage semble reprendre la trame brossée dans Utilité des abeilles, il la développe et l’amende sur 192 pages. L’auteur y dresse le portrait d’une campagne en mutation, marqué par l’exode rural et une transformation des méthodes agricoles qui en s’intensifiant, s’éloignent d’un rapport sensible à la terre qu’elles exploitent. La grande thèse du livre est de démontrer l’utilité, insoupçonnée et oubliée, des abeilles pour l’ensemble des cultures et de la flore en général. À travers de nombreux exemples et mises en scènes – en bon pédagogue du XIXè siècle dispensant ses leçons avec hauteur et bienveillance – il va argumenter dans ce sens, répondant aux peurs des villageois (piqûres, masse de travail supplémentaire etc.) tout en leur explicitant les gains, assurés et faciles, autant pécuniaires qu’environnementaux, qu’une multiplication des ruchers engendrerait.
Tout cela développé au sein d’un récit cadre riche en situations et personnages pittoresques, de la bonne et sa fille dévouées espérant un bon parti sans oser le chercher, au curé docte et habile médiateur en passant par les cours sous forme de veillées dispensés par le bon notable de retour en son pays d’enfance ; La Première Ruche d’Eugène Jobard s’avère être un objet littéraire et technique des plus agréables et curieux.
Fait amusant, un article tiré d’un journal du même nom que l’imprimerie nous apprend que l’auteur aurait été un imprimeur féru d’apiculture (Eugène Jobard donc de l’imprimerie du Bien Public à Dijon) dont l’immeuble, qu’il aurait fait construire à la même époque que la publication de son livre, arbore une sculpture d’abeille sur son frontispice.
Quatrième de couverture avec un petit ornement central qui n’est pas sans rappelé le style de celui décorant la demeure de l’auteur à Dijon.
Le dernier texte de notre sélection se présente à la fois comme la synthèse et le prototype des ouvrages précédents. Écrit à la fois théorique, pratique et narratif, il semble tenir à embrasser l’ensemble du domaine apicole en utilisant les formes qui lui semblent les plus appropriées sans pour autant chercher à donner un cadre unificateur à sa production.
Page de titre de Le Rucher de J. Auguste Marcellin, 1866, sous-titré : « Art nouveau de gagner, sans peine, assez d’argent pour vivre, et secourir encore l’indigent ! », où l’on observe aussi la mise en avant des compétences de son auteur via la mention « Ayant obtenu six médailles à diverses expositions. », ainsi que la référence à la lettre d’Alphonse Karr.
Il est néanmoins intéressant de constater qu’il fut écrit et publié avant les ouvrages étudiés précédemment et peut ainsi poser la question de sa postérité et de son influence.
Si le traité pratique de Marcellin sort peu après (1866) la version française de L’origine des espèces de Darwin (1862), l’apiculteur et auteur choisit plutôt de se placer sous le patronage d’Alphonse Karr (auteur romantique et satirique français, ayant notamment écrit Sous les tilleuls et créé la revue satirique Les Guêpes, mais ayant également exercé la floriculture à Nice) à qui il dédie son opuscule et dont la lettre de réponse (affirmative) suit cette dédicace dans l’ouvrage.
Illustration satirique et caricaturale (caractéristique de l’époque avec ce visage démesuré) d’Alphonse Karr où l’on retrouve le lien étroit de ce premier avec la nature de par son activité floricole et ses écrits, notamment le plus fameux Sous les tilleuls arborant le bac à fleur dans le coin droit.
Cette affiliation nous renseigne potentiellement sur les intentions profondes de l’auteur. Bien que s’inscrivant de fait (par sa volonté de description détaillée et comparative des techniques d’élevages mais aussi du comportement des abeilles) dans la veine des scientifiques et éleveurs naturalistes de son temps, l’apiculteur passionné d’Aix-en-provence tient aussi à utiliser ses connaissances pour dresser des analogies d’ordre plus morale et philosophique à l’instar du travail de Karr, dans son Voyage autour de mon jardin par exemple.
Le Rucher, se découpe en deux parties : une première plutôt orientée pratiques et techniques, avec comme éléments notables une description des avantages et inconvénients de trois modèles de ruches qu’il juge intéressants, suivi d’un de son invention et des lois du code civil régissant la propriété des dites ruches (on y retrouve également une bonne partie des éléments développés dans des traités ultérieurs comme celui de De Lasalle présenté précédemment) ; une deuxième consistant en un récit présenté comme étant tiré d’un évènement réel et ultérieur à la rédaction de la première partie, où l’auteur relate un échange qui a lieu entre celui-ci, un comte de sa région et son jardinier « Jean ».
Penchons-nous un moment sur cette seconde partie. Le comte y est désigné en tant que « le comte » alors que les deux autres protagonistes bénéficient de leur patronyme respectif. La discussion relève presque de l’échange socratique, Marcellin expose et amène le comte ainsi que son jardinier à considérer différemment les abeilles en développant ses théories et découvertes en matière d’apiculture à travers une série de questions-réponses, habilement menée, pour les faire entendre à Jean de manière organique.
Par conséquent l’ensemble se trouve être assez didactique, avec le « professeur-apiculteur » Marcellin qui allie connaissance théorique et pratique de terrain, le jardinier Jean représentant le « commun », le « populaire » et le comte comme intercesseur, qui est facilement convaincu du bien-fondé des explications de l’auteur. La désignation plus impersonnelle du noble et sa position avantageuse dans l’échange peut nous donner l’impression que le destinataire moral, en quelque sorte, du récit serait l’ensemble des « Jean » mais que le destinataire pragmatique serait plutôt représenté par « le comte », étant celui détenant les capitaux et qui serait le plus à même de faire appel aux services de l’apiculteur.
J. Auguste Marcellin nous fournit ici un exemple singulier et étonnant de traité pratique. En effet si on y trouve bien les observations et préconisations habituelles (ou qui le deviendront), ainsi que des réflexions philosophiques basées sur une tradition allégorique, le tout se révèle aussi être un objet de publicité intriguant mais finalement peut-être assez caractéristique de son époque.
Gravures représentants le détail d’un rayon de miel à gauche et l’équipement d’un apiculteur à droite, de sa combinaison à ses nombreux outils sur le sol.
Étonnante gravure d’un style différent du reste et qui a été réalisé directement sur l’ouvrage contrairement aux autres faisant parties d’un feuillet séparé.
Gravures où l’on observe une installation conséquente et organisée de ruches sur la gauche ainsi qu’un des modèles à cadres mobiles, présenté dans l’ouvrage, sur la droite.
Ainsi nous avons pu observer à travers ces quatre textes des tendances communes : une attention particulière portée à l’apiculture comme un moyen simple et accessible pour « le peuple » de s’assurer un revenu subsidiaire, avec parfois une emphase placée sur le bénéfice environnemental ajouté, nous avertissant déjà sur l’importance primordiale des abeilles pour nos écosystèmes (chez Jobard particulièrement) ; mais également un aspect moral, édificateur, qui n’est cependant pas toujours analysé de la même manière : Jobard donne l’exemple d’une ruche retrouvée dans un conduit de cheminée inusité où l’on pouvait dénombrer plusieurs reines à la fois, signe pour lui d’une cohabitation possible et d’une forme de communauté d’entraide plutôt que de compétition et de hiérarchie, alors que Marcellin met plus en avant l’aspect industrieux et humble de l’insecte ailé que tout le monde devrait suivre. On constate également le développement de manuels et traités pratiques destinés au grand public ainsi que la propension scientifique, qui prend racine à cette époque, à rationaliser ces pratiques.
Alors si les techniques agricoles et le monde rural, ainsi que les avancées scientifiques de la seconde moité du XIXè siècle vous intéressent, n’hésitez pas à venir jeter un coup d’œil aux ouvrages mentionnés précédemment et à notre section apiculture en général.