22 Juin 2021
Emile Durkheim – Les formes élémentaires de la vie religieuse : Le système totémique en Australie
« La pensée vraiment et proprement humaine n’est pas une donnée primitive ; c’est un produit de l’histoire. »
S’il existe un sujet qui fait depuis toujours les gros titres de l’actualité, clivant et prompt à enflammer les passions au cœur des discussions les plus animées, c’est bien celui de la religion. Aujourd’hui nous ne vous proposons pas une relecture du monde à travers la question des croyances et de la foi, mais de nous intéresser à un ouvrage qui a essayé d’apporter une définition neutre et scientifique d’un domaine éminemment intime. Abordons directement le sujet en nous intéressant à un classique du genre, écrit par un homme considéré comme un des pères fondateurs de la sociologie moderne : Émile Durkheim.
L’exemplaire des Formes élémentaires de la vie religieuse que vous pouvez admirer sur la photo ci-dessus est paru en 1912, édité par la librairie Félix Alcan. L’ouvrage que nous proposons est complet, avec sa reliure en demi-toile maroquinée et la carte dépliante en annexe. Outre quelques marques d’usage, la particularité de ce bel ouvrage réside dans sa rareté. Cette édition originale bénéficie d’un bon état général, d’un intérieur frais et d’un très bon état de conservation.
Né à Épinal en 1858, Émile Durkheim est le fruit d’une longue lignée de huit générations de rabbins, mais il refuse d’endosser l’héritage familial. Condisciple de Jean Jaurès à l’École normale supérieure, il consacre sa thèse, De la division du travail social en 1893, aux questions des rapports de force entre l’individu et la société, mettant en lumière l’intégration de l’individu au collectif dans ce qui constitue la cohésion sociale. Il milite pour la reconnaissance de la sociologie en tant que discipline autonome et indépendante des autres sciences sociales auxquelles elle s’entremêle étroitement, telles que la psychologie et la philosophie. C’est ainsi qu’il fonde le premier département de sociologie à l’université de Bordeaux en 1897, puis à Paris en 1902 : ses cours portent sur la famille, la société, la religion, le suicide (thème qui a fait l’objet d’un ouvrage en 1897), sujets étudiés à partir d’un regard entièrement sociologique. Il commence également à publier la revue L’Année sociologique à la fin des années 1890.
Les influences les plus importantes d’Émile Durkheim sont celles d’Auguste Comte (pour qui les sciences sociales devaient adopter la méthode alors appliquée aux sciences naturelles comme la biologie ou la chimie) et Herbert Spencer (qui a développé une philosophie évolutionniste en appliquant les théories de Darwin à l’étude de la société humaine). Ces deux sociologues se placent dans le courant positiviste qui a alors cours durant cette fin de XIXème siècle.
C’est en 1912, soit cinq ans avant son décès en 1917, que Durkheim publie ce qui sera un ouvrage majeur de la communauté scientifique du début du XXème siècle : Les formes élémentaires de la vie religieuse : Le système totémique en Australie. Il y dresse l’étude ethnologique de plusieurs tribus aborigènes d’Australie et indiennes d’Amérique du Nord, sujets choisis selon un raccourci d’époque : ces communautés qu’il considère alors comme les plus « primitives » constituent ainsi des cas plus simples et par conséquent plus faciles à étudier, afin d’en préciser les « formes élémentaires » communes à toutes cultures par la comparaison de leurs rites et croyances. Il en tire une définition de la religion et identifie ce qu’il nomme « les moments d’effervescence collective » qui seraient à l’origine de toute religion.
« Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent. »
Pour Durkheim, le sentiment religieux trouve sa puissance dans les forces sociales qui sont toujours à l’œuvre au sein d’une communauté. Les rituels propres à chaque religion expriment le sentiment d’appartenance à sa société, qui se concrétise durant les moments d’effervescence collective, lorsque les individus constituant la communauté se rassemblent dans une même intention et dans une même action. « Une fois les individus assemblés il se dégage de leur rapprochement une sorte d’électricité qui les transporte vite à un degré extraordinaire d’exaltation ». Cette euphorie, que Durkheim nomme « mana », peut aujourd’hui être comparée au sentiment de fédération collective que peuvent créer les grandes manifestations sportives ou politiques. « La force religieuse n’est que le sentiment que la collectivité inspire à ses membres, mais projeté hors des consciences qui l’éprouvent, et objectivé. Pour s’objectiver, il se fixe sur un objet qui devient ainsi sacré », telles que les reliques. Cette projection forme ainsi, pour Durkheim, la séparation fondamentale entre le profane et le sacré.
» Un combat » (illustration dans C. Hodgkinson, Australia from Port Macquarie to Moreton Bay, 1855)
Au-delà des considérations entourant le mystère divin, pour le sociologue, l’expérience religieuse est véritablement fondée sur un fait physique. Tant que l’homme cherchera à se rassembler en groupe, il continuera à vénérer et à croire en quelque chose, d’où la conclusion suivante : la religion est une caractéristique de la condition humaine. Durkheim met ainsi en relief le lien absolu entre la communauté et sa culture. « Il ne peut y avoir de société qui ne sente le besoin d’entretenir et de raffermir, à intervalles réguliers, les sentiments collectifs et les idées collectives qui font son unité et sa personnalité. »
A travers ce prisme, c’est aussi la modernisation croissante (développement des villes, industrialisation, division du travail…) et « la mort des anciens dieux », soit le déclin de la religion en Occident, qui sont analysées dans l’ouvrage de Durkheim. Mis sur le même rapport, ces deux phénomènes sont au cœur d’une crise de moralité qu’ont également démontré d’autres auteurs, comme Nietzsche. Mais ce sont également le terreau d’une nouvelle religion, que Durkheim nomme le « culte de l’individu », et qui inscrit l’individualité comme objet sacré et trouve ses prémisses dans la Révolution française, que le sociologue analyse comme le premier cas d’effervescence collective pour cette religion.
Nous vivons encore aujourd’hui ces moments de réjouissance collective, dans un registre différent et si le sport possède également cette capacité de fédérer un public autour d’une même pensée comme dit plus haut, dans cet esprit, souhaitons bonne chance à l’équipe de France pour nous offrir la victoire de l’Euro ainsi qu’un beau moment de liesse nationale !
22 Oct 2023
0 Comments
De l’envoi : Céline, Cocteau, Aragon, Ionesco et compagnie…
Nous avons le plaisir de vous proposer aujourd’hui un ensemble d’ouvrages qui intéressera les collectionneurs !
Réunissant un envoi autographe pleine-page de Céline, plusieurs de Cocteau, un d’Aragon et un autre de Ionesco (au sein d’une série destinée au couple Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud), mais aussi des envois dessinés, très souvent pleine-page, de Fassianos et de Combas, parmi bien d’autres… Il est notable que certains d’entre-eux aient appartenu à Serge Tamagnot (mentionné dans de nombreux envois), figure de la nuit parisienne et photographe de ses nombreux amis artistes comme Marcel Jouhandeau ou Violette Leduc.
À la lumière du jour de Constantin Cavafy illutstré par A. Fassianos, Fata Morgana (1989), avec un bel envoi et dessin de Fassianos où tous les éléments sont réunis, les symboles iconiques de l’artiste, la date, la signature et le destinataire Serge Tamagnot.
Le premier élément remarquable de cet ensemble est une réédition (de 1952) de la thèse de médecine que Céline soutint en 1924 (paru chez Gallimard en 1937) : Semmelweis. Celle-ci traite du médecin obstétricien hongrois éponyme, précurseur de Pasteur dans le combat contre les microbes en milieu hospitalier. Il ne réussit malheureusement pas à convaincre le milieu médical de son époque de l’importance capitale de se laver les mains entre deux interventions, pour éviter la contamination, notamment entre une dissection et un accouchement. Cet ouvrage est considéré comme le premier texte littéraire de l’auteur qui s’il ne déploie pas toute son ampleur, montre déjà une partie de son talent et de sa ferveur dans le récit de vie de cet avant-gardiste incompris, en partie à cause de son caractère envahissant. L’envoi autographe dont nous disposons est d’autant plus intéressant qu’il est dédié à un « confrère », inconnu du grand public mais que l’écrivain-médecin semblait tenir en haute estime. D’ailleurs si Céline s’est souvent refusé à dédicacer ses œuvres pour des gens connus, il a écrit plusieurs envois à des « gens ordinaires ». De plus notre exemplaire est un service de presse.
Semmelweis, de Céline, Gallimard, 1952, faux-titre de l’ouvrage, avec la mention S.P pour Service de Presse.
Envoi autographe pleine-page de Céline : « A notre cher confrere […] ».
Dans un autre registre, notre ensemble comporte également plusieurs ouvrages de Jean Cocteau dédicacés par l’auteur à différentes personnes mêlant sa vie artistique et intime, on y retrouve : Arthur Pétronio, inventeur de la Verbophonic (un mouvement proche de la poésie lettriste et sonore) et le couple de théâtre et de cinéma Renaud-Barrault « en vieil ami ». À cela s’ajoute une édition originale de La Belle et la Bête, Journal d’un film (1946) avec un envoi autographe et dessin originale de Véronique Filozof (artiste dont Cocteau fut l’ami et le mécène et à qui il avait écrit : « Je te dis « tu » parce que j’aime ce que tu fais » en découvrant son travail). Cette dernière y relate une soirée en compagnie mondaine, en présence de Jacques Prévert et Max Jacob entre autres, où les personnages du film sont mentionnés, exposition ou soirée privée elle eut lieu dans le quartier latin, rue Danton.
Plain-chant, de Cocteau, librairie Stock, 1923, avec cet envoi touchant de Cocteau à un autre poète expérimentateur formel dont le travail n’est pas sans rappeler les réflexions du groupe « des Six », avec lequel Cocteau a œuvré avant la guerre.
Le cordon ombilical, souvenirs de Cocteau, Plon, 1962, sobre envoi de l’auteur où l’on perçoit l’amitié simple qui l’unit à ce couple mythique.
La Belle et la Bête, journal d’un film de Cocteau, J.B Janin, 1946, avec un dessin original de Véronique Filozof où l’on reconnaît une parenté avec le « style Cocteau », terminant un envoi intéressant sur 3 pages.
On retrouve aussi plusieurs autres envois dédiés au couple mythique Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud sous la plume de Ionesco, Aragon et Triolet où l’on perçoit à la fois complicité et admiration, pour ces deux figures majeures de la vie artistique parisienne du siècle dernier. On peut rappeler que le couple joua et mis en scène plusieurs pièces d’Ionesco ainsi que de Beckett, particulièrement apprécié de Madeleine Renaud qui créa notamment la Winnie de Oh les beaux jours.
Le roi se meurt de Ionesco, Gallimard, 1963, envoi fort intéressant de Ionesco, où se mêle « admiration », « sentiment de culpabilité » et « affection » pour le couple avec qui il a collaboré à plusieurs reprises.
La semaine sainte d’Aragon, Gallimard, 1958, dédicace charmante de l’auteur au couple Renaud-Barrault où il mentionne son entrée au Palais-Royal avec Elsa Triolet ainsi que le fait qu’ils aient « 30 ans à [eux] deux ». Avec une touchante remarque sur leur amitié partagée.
Les manigances d’Elsa Triolet, Gallimard, 1962, on trouve une belle formule d’Elsa Triolet dans cet envoi faisant référence au titre de l’ouvrage et à leur amitié : « ces fausses manigances, cette vraie amitié ».
On retrouve Cocteau et Claudel (un des pères de substitution de Jean-Louis Barrault), entre autres, au sein de la bibliothèque de Serge Tamagnot. Ce dernier collectionna nombres d’ouvrages variés mais souvent liés à ces amitiés et admirations, on y trouve par exemple une édition originale de La batârde de Violette Leduc, en japonais. Il en fut proche et ce particulièrement au soir de la vie de l’autrice. Alekos Fassianos semblait également tenir une place importante dans le cœur de Tamagnot qui posséda nombres de ses ouvrages dédicacés et truffés d’invitations pour ses expositions dans diverses galeries parisiennes. La liste est trop longue pour que l’on soit exhaustif mais citons tout de même deux ouvrages assez singuliers, un exemplaire du Tirésias de Théophile avec un montage d’image érotique de Marcel Jouhandeau pour Serge Tamagnot, daté et signé du 21 mai 1977 ; ainsi qu’une édition originale d’Encore un instant de bonheur d’Henry de Montherlant, à laquelle a été collé sur la garde le manuscrit d’une version antérieur d’un des poèmes de l’œuvre, intitulé : « Le Bonheur ».
La bâtarde de Violette Leduc, édition originale japonaise (1967).
Fragments homériques d’Alekos Fassianos, Syrmos (1993), beau dessin pleine-page de l’artiste avec envoi autographe « pour Serge ».
Belle invitation lithographiée dans les ateliers Michel Cassé, pour une exposition de Fassianos à la Galerie Pudelko à Bonn en Allemagne, signé et daté par l’artiste pour Serge Tamagnot truffant Le mythe à bicyclette de Fassianos également.
Tirésias de Théophile, Jean-Jacques Pauvert (1977), première partie du montage-collage de Marcel Jouhandeau pour Serge Tamagnot reprenant un dessin d’Élie Grekoff réalisé pour le Tirésias de l’auteur en 1954, la deuxième partie sur la page suivante est également une gravure de Grekoff, érotique cette fois-ci.
Manuscrit intitulé « Le Bonheur » d’un des poèmes du recueil Encore un instant de Bonheur de Montherlant, Grasset (1934), renommé « Il fait beau » dans la version définitive.
Sailors & Sea de Pierre et Gilles, Taschen (2005), envoi avec dessin du couple d’artiste-photographes Pierre et Gilles pour Serge Tamagnot.
À cela s’ajoute quelques très beaux ouvrages illustrés de poèmes de Rimbaud ainsi qu’une édition originale de la première édition collective des Illuminations et d’Une saison en enfer avec une préface de Paul Verlaine.
Les Stupra, Album dit Zutique (extraits) de Rimbaud, L’Angelot Maudit Paris (1948), avec 17 gravures érotiques, encore très modernes, de Jean-Paul Vroom. Édition à petit tirage, 75 exemplaires, ici le n°62.
Achevé d’imprimer de cette rare édition « sous le manteau » des Stupra de Rimbaud, édité « aux dépens d’un groupe de bibilophiles » avec cinq impressionnantes gravures pointes sèches, présumées comme étant de Tavy Notton, en 1943 à Grenoble.
Belle édition du poème Les poètes de sept ans de Rimbaud, GLM (1939), avec sept superbes gravures pointes sèches de Valentine Hugo et une préface de Paul Eluard.
Illustration de Valentine Hugo pour Les poètes de sept ans.
Première édition originale collective des Illuminations et d’Une saison en enfer de Rimbaud, Librairie Léon Vanier en 1892.
Préface de cette première édition collective, écrite par Paul Verlaine et reprise de la première édition des Illuminations en 1886.
Vous avez ainsi pu voir l’intérêt que présente cet ensemble d’ouvrages comportant de nombreux envois particulièrement intéressants, par leurs longueurs et leurs teneurs, ainsi que de beaux dessins originaux pleine-pages ! Et nous avons l’honneur de vous en proposer d’autres encore, que nous ne vous avons pas révélé dans cet article mais que vous pouvez retrouver sur notre site ! Parmi-eux un curieux envoi sur deux pages de Marcel Jouhandeau à Jean-Louis Barrault à propos d’un jeune homme, ainsi qu’un autre de Daniel Boulanger semblant badiner avec Madeleine Renaud …
Alors n’hésitez pas à y faire un tour !