22 Avr 2024
0 CommentsDe la ruche et des « mouches à miel » : un état des lieux de l’apiculture en France au XIXe siècle
« C’est de l’abeille (trop peu étudiée jusqu’à ce jour, trop peu appréciée) que je vais entretenir mon lecteur ; je dirai peu de mots sur les circonstances qui m’ont amené aux résultats signalés dans ce petit livre destiné aux enfants et aux hommes auxquels il offrira des points très curieux de moralité, outre la question pécuniaire qui sera résolue. » p12 in Le rucher de J. Auguste Marcellin, 1866.
Abraxas vous invite aujourd’hui à explorer le regain d’intérêt qui s’opère autour de l’apiculture et de la figure de l’abeille à partir de la seconde moitié du XIXè siècle en France (et ailleurs), à travers 4 ouvrages : Le rucher de J. Auguste Marcellin, paru en 1866 à compte d’auteur ; Culture raisonnée facile et économique des mouches à miel par De Lasalle en 1880, à compte d’auteur également ; La première ruche (vendu) d’Eugène Jobard en 1889, à l’imprimerie du Bien Public à Dijon et les deux premiers numéros de la revue Le Rucher : Organe illustré de la société d’apiculture de la région du Nord de 1890 (portant sur l’exposition universelle de 1889 et vendu également). On y retrouve les abeilles bien sûr, figures à la fois symboliques et pratiques de la nature mais aussi les hommes dans les rapports qu’ils entretiennent avec elles.
Si les produits de leur labeur, le miel et la cire, sont utilisés depuis fort longtemps (on en trouve la mention dès l’Égypte antique), la connaissance de leur apport primordial dans nos écosystèmes en tant que pollinisateur particulièrement efficace, est plus récente. Il faut remonter aux travaux de naturalistes et botanistes allemands (Kölreuter et Sprengel) de la fin du XVIIIe siècle pour trouver des études scientifiques sur ce phénomène qui seront par la suite reprises par Darwin dans la deuxième partie du XIXe siècle.
C’est à cette époque que vont également se développer de nouvelles techniques d’apiculture et ce particulièrement chez les anglo-saxons, comme cela nous est indiqué dans le n°1 et 2 de Le Rucher : Organe illustré de la société d’apiculture de la région du Nord de 1890, on y trouve également des allusions chez De Lasalle. Plusieurs apiculteurs français, professionnels ou passionnés, en prennent exemple pour critiquer les traditions françaises sévissant jusqu’à cette époque comme « l’étouffement » qu’ils n’hésitent pas à qualifier de « barbares » (termes que l’on retrouve chez Marcellin notamment), mais également pour en tirer des parallèles allégoriques s’inscrivant dans une tradition remontant à l’antiquité, chez Aristote et Virgile par exemple.
Intéressons nous d’abord aux ouvrages plus théoriques de cette sélection.
En premier lieu : Le Rucher, Organe illustré de la Société d’Apiculture de la Région du Nord, n°1 et 2 : Rapport sur l’apiculture à l’exposition universelle de 1889, Présenté à la Société d’Apiculture de la Région du Nord de la France par M. Gustave Rifflart, Employé à la Mairie d’Amiens et Membre de la Société (vendu). Cette petite reliure de 71 pages fait état des différents exposants présents à la section d’apiculture de l’Exposition universelle de 1889 ayant eu lieu à Paris.
On y trouve entre autres, dans la partie française, la présence de « Deyrolle, Émile, naturaliste, 46, rue du Bac, Paris » (entrée n°16, p.10) dont l’auteur admire la qualité des équipements et objets d’études, parmi lesquels se trouve une maquette d’abeille d’1m20 de long ; ainsi que la création d’un certain M Robert (entrée n°48, p.25 ) qui a étagé ses rayons de manière à représenter une tour Eiffel, monument iconique de cette exposition. Il est d’ailleurs amusant de noter que le rapporteur loue plus la qualité du miel présent dans ces rayons que la ressemblance avec la tour elle-même.
M. Rifflart profite de cette occasion pour partager des considérations générales sur l’état de l’apiculture en France, y déplorant une prédominance de la méthode dite « fixiste » (où les abeilles sont libres de fixer elles-même leurs rayons) à défaut de celle dite « mobiliste » (où l’on utilise des cadres en bois prévus à cet effet) plus en vogue aux États-Unis et au Royaume-Uni. Indice représentatif d’un changement qui arrive trop lentement et d’un retard technique des producteurs français selon lui. Les États-Unis occupent d’ailleurs une place importante dans l’ouvrage, 20 pages et 9 gravures pour 22 exposants et si la Grande Bretagne ne compte qu’un exposant, 6 pages lui sont consacrées avec 12 gravures soit plus d’un tiers de la totalité (29 pour les ruches et objets associés plus 2 d’exploitations, une grecque et une britannique).
Publié dix ans plus tôt, la Culture raisonnée facile et économique des Mouches à Miel par M. de Lasalle (sans date, 1880 d’après la BNF) est d’un autre genre.
Défini en tant que « Traité pratique » par l’auteur dans sa préface, destiné d’abord aux : « curés, instituteurs, employés des canaux et des chemins de fer, cultivateurs, ouvriers, journaliers etc. » qui « pourraient aisément, sans rien négliger de leurs travaux habituels, augmenter sensiblement leurs ressources en y adjoignant le revenu d’un petit rucher » ; il s’adresse également « à l’universalité des lecteurs ».
De Lasalle y résume ainsi son ouvrage : « il y a renfermé [parlant de lui] toutes les connaissances théoriques nécessaires pour la culture raisonnée des mouches à miel, l’explication de toutes les méthodes économiques, même les plus nouvelles, qui ont été sanctionnées par l’expérience, et la description exacte de toutes les opérations pratiques que l’apiculteur peut être conduit à exécuter : sous ce triple rapport, l’ouvrage est au courant des plus récentes notions certaines qui soient acquises sur les abeilles. »
L’auteur se révèle fidèle aux promesses de sa préface. Au fil de ces 312 entrées réparties sur 9 chapitres, est présenté de manière succincte et didactique tout ce que l’apiculteur de l’époque (mais qui est en grande partie valable également pour celui d’aujourd’hui) doit savoir : exploration d’une ruche occupée par des abeilles, description de sa composition, de ses rythmes, conditions et pratiques de l’essaimage « naturel » et « artificiel », moyens de récolte, préparation de ses produits, détail mois par mois des travaux apicoles à effectuer, descriptions et prescriptions des maladies et dangers menaçants la ruche ainsi qu’un point sur la législation en vigueur alors.
On se retrouve ainsi avec une précieuse synthèse de savoirs relatifs à l’apiculture, à la fois historiques et pratiques.
Si les 2 ouvrages précédents sont remarquables pour les témoignages factuels et techniques qu’ils proposent, les 2 prochains possèdent un élément plus surprenant mais particulièrement intéressant : le recours à la narration comme ressort didactique.
En effet, l’Utilité des abeilles, La Première Ruche (vendu) d’Eugène Jobard, publié par l’imprimerie du Bien Public à Dijon en 1889, se présente comme la continuation d’une « petite brochure » nommée Utilité des abeilles, d’abord imprimée et distribuée par les soins de l’auteur. Celle-ci narrait le retour de ce dernier dans son village d’origine, « vivement frappé par la stérilité des arbres fruitiers » et comment il y remédia par la réhabilitation du rucher de la maison paternelle. Il semblerait que celle-ci ait rencontré un grand succès par sa recension dans un article du Petit Journal ce qui, toujours selon les dires d’Eugène Jobard, aurait créé un engouement telle qu’il fut amené à en écrire un ouvrage plus complet. Constatant qu’il n’aurait pu que « rédiger un traité qui n’eût été qu’une simple compilation » il résume ainsi sa démarche : « J’ai réfléchi longuement, et le mieux me parut être de raconter tout simplement ce que j’ai vu, ce que j’ai fait. Et je dirai avec La Fontaine : Mon voyage dépeint / Vous sera d’un plaisir extrême. / Je dirai : J’étais là ; telle chose m’avint. / Vous y croirez être vous-même. »
C’est donc cette édition remaniée et augmentée que nous avons le plaisir de vous présenter aujourd’hui. Si l’ouvrage semble reprendre la trame brossée dans Utilité des abeilles, il la développe et l’amende sur 192 pages. L’auteur y dresse le portrait d’une campagne en mutation, marqué par l’exode rural et une transformation des méthodes agricoles qui en s’intensifiant, s’éloignent d’un rapport sensible à la terre qu’elles exploitent. La grande thèse du livre est de démontrer l’utilité, insoupçonnée et oubliée, des abeilles pour l’ensemble des cultures et de la flore en général. À travers de nombreux exemples et mises en scènes – en bon pédagogue du XIXè siècle dispensant ses leçons avec hauteur et bienveillance – il va argumenter dans ce sens, répondant aux peurs des villageois (piqûres, masse de travail supplémentaire etc.) tout en leur explicitant les gains, assurés et faciles, autant pécuniaires qu’environnementaux, qu’une multiplication des ruchers engendrerait.
Tout cela développé au sein d’un récit cadre riche en situations et personnages pittoresques, de la bonne et sa fille dévouées espérant un bon parti sans oser le chercher, au curé docte et habile médiateur en passant par les cours sous forme de veillées dispensés par le bon notable de retour en son pays d’enfance ; La Première Ruche d’Eugène Jobard s’avère être un objet littéraire et technique des plus agréables et curieux.
Fait amusant, un article tiré d’un journal du même nom que l’imprimerie nous apprend que l’auteur aurait été un imprimeur féru d’apiculture (Eugène Jobard donc de l’imprimerie du Bien Public à Dijon) dont l’immeuble, qu’il aurait fait construire à la même époque que la publication de son livre, arbore une sculpture d’abeille sur son frontispice.
Le dernier texte de notre sélection se présente à la fois comme la synthèse et le prototype des ouvrages précédents. Écrit à la fois théorique, pratique et narratif, il semble tenir à embrasser l’ensemble du domaine apicole en utilisant les formes qui lui semblent les plus appropriées sans pour autant chercher à donner un cadre unificateur à sa production.
Il est néanmoins intéressant de constater qu’il fut écrit et publié avant les ouvrages étudiés précédemment et peut ainsi poser la question de sa postérité et de son influence.
Si le traité pratique de Marcellin sort peu après (1866) la version française de L’origine des espèces de Darwin (1862), l’apiculteur et auteur choisit plutôt de se placer sous le patronage d’Alphonse Karr (auteur romantique et satirique français, ayant notamment écrit Sous les tilleuls et créé la revue satirique Les Guêpes, mais ayant également exercé la floriculture à Nice) à qui il dédie son opuscule et dont la lettre de réponse (affirmative) suit cette dédicace dans l’ouvrage.
Cette affiliation nous renseigne potentiellement sur les intentions profondes de l’auteur. Bien que s’inscrivant de fait (par sa volonté de description détaillée et comparative des techniques d’élevages mais aussi du comportement des abeilles) dans la veine des scientifiques et éleveurs naturalistes de son temps, l’apiculteur passionné d’Aix-en-provence tient aussi à utiliser ses connaissances pour dresser des analogies d’ordre plus morale et philosophique à l’instar du travail de Karr, dans son Voyage autour de mon jardin par exemple.
Le Rucher, se découpe en deux parties : une première plutôt orientée pratiques et techniques, avec comme éléments notables une description des avantages et inconvénients de trois modèles de ruches qu’il juge intéressants, suivi d’un de son invention et des lois du code civil régissant la propriété des dites ruches (on y retrouve également une bonne partie des éléments développés dans des traités ultérieurs comme celui de De Lasalle présenté précédemment) ; une deuxième consistant en un récit présenté comme étant tiré d’un évènement réel et ultérieur à la rédaction de la première partie, où l’auteur relate un échange qui a lieu entre celui-ci, un comte de sa région et son jardinier « Jean ».
Penchons-nous un moment sur cette seconde partie. Le comte y est désigné en tant que « le comte » alors que les deux autres protagonistes bénéficient de leur patronyme respectif. La discussion relève presque de l’échange socratique, Marcellin expose et amène le comte ainsi que son jardinier à considérer différemment les abeilles en développant ses théories et découvertes en matière d’apiculture à travers une série de questions-réponses, habilement menée, pour les faire entendre à Jean de manière organique.
Par conséquent l’ensemble se trouve être assez didactique, avec le « professeur-apiculteur » Marcellin qui allie connaissance théorique et pratique de terrain, le jardinier Jean représentant le « commun », le « populaire » et le comte comme intercesseur, qui est facilement convaincu du bien-fondé des explications de l’auteur. La désignation plus impersonnelle du noble et sa position avantageuse dans l’échange peut nous donner l’impression que le destinataire moral, en quelque sorte, du récit serait l’ensemble des « Jean » mais que le destinataire pragmatique serait plutôt représenté par « le comte », étant celui détenant les capitaux et qui serait le plus à même de faire appel aux services de l’apiculteur.
J. Auguste Marcellin nous fournit ici un exemple singulier et étonnant de traité pratique. En effet si on y trouve bien les observations et préconisations habituelles (ou qui le deviendront), ainsi que des réflexions philosophiques basées sur une tradition allégorique, le tout se révèle aussi être un objet de publicité intriguant mais finalement peut-être assez caractéristique de son époque.
Ainsi nous avons pu observer à travers ces quatre textes des tendances communes : une attention particulière portée à l’apiculture comme un moyen simple et accessible pour « le peuple » de s’assurer un revenu subsidiaire, avec parfois une emphase placée sur le bénéfice environnemental ajouté, nous avertissant déjà sur l’importance primordiale des abeilles pour nos écosystèmes (chez Jobard particulièrement) ; mais également un aspect moral, édificateur, qui n’est cependant pas toujours analysé de la même manière : Jobard donne l’exemple d’une ruche retrouvée dans un conduit de cheminée inusité où l’on pouvait dénombrer plusieurs reines à la fois, signe pour lui d’une cohabitation possible et d’une forme de communauté d’entraide plutôt que de compétition et de hiérarchie, alors que Marcellin met plus en avant l’aspect industrieux et humble de l’insecte ailé que tout le monde devrait suivre. On constate également le développement de manuels et traités pratiques destinés au grand public ainsi que la propension scientifique, qui prend racine à cette époque, à rationaliser ces pratiques.
Alors si les techniques agricoles et le monde rural, ainsi que les avancées scientifiques de la seconde moité du XIXè siècle vous intéressent, n’hésitez pas à venir jeter un coup d’œil aux ouvrages mentionnés précédemment et à notre section apiculture en général.
28 Juin 2024
0 CommentsL’histoire de Babar
La série de livres pour enfant « Babar » a été inventée par Cécile de Brunhoff pour, à l’origine, endormir ses enfants Mathieu et Laurent. Ces derniers ont demandé à leur père d’illustrer l’histoire afin de faciliter leur compréhension et le premier tome intitulé « Histoire de Babar » paraît donc en 1931. C’est la première œuvre illustrée par Jean de Brunhoff. Grâce au succès que rencontre la série, Cécile de Brunhoff crée un personnage chez les jeunes. Cette série de livres raconte en 27 tomes les aventures de l’éléphanteau. Les six premiers albums sont réalisés par Jean de Brunhoff puis c’est son fils, Laurent qui continua de divertir les enfants à travers le monde, en effet, les livres ont été traduit dans 27 langues.
Les ouvrages racontent la vie de « Babar », un éléphanteau qui quitte la jungle pour aller dans une grande ville suite à la mort de sa mère tuée par un chasseur. Il va faire la rencontre d’un vieille dame qui pourvoit à son éducation. Après peu de temps, il retourne finalement dans un clan d’éléphants qui tente en permanence d’échapper aux chasseurs. A la suite de la mort du roi des éléphants et pour avoir déjoué le plan d’un chasseur « Babar » est couronné roi et épouse sa cousine Céleste. Ils vivent à « Célesteville », où chaque peuple animal construit sa maison et vit selon ses propres coutumes.
Nous avons actuellement dans nos rayons quatre volumes de Babar de la collection « albums de Babar » : « Histoire de Babar » 1931, «Le roi Babar» sorti en 1933, « Babar et ce coquin d’Arthur » 1946 et « Pique-nique chez Babar » publié en 1949. Les deux premiers ont été écrit par Jean de Brunhoff quant aux derniers, ils ont été réalisé par Laurent de Brunhoff. Contrairement aux nouvelles éditions de « Babar », ces dernières ont des couleurs vives et les dessins ont des traits fins assez imprécis, ce qui nous donne l’impression que les illustrations ont été faites à la main. Cet effet est dû à l’impression faite en lithographie qui désigne la technique de dessiner puis de graver dans la pierre, autrement dit dessiner sur une pierre, puis imprimer l’image en la pressant contre une feuille de papier.
En lisant ces histoires certains se demandent : « Babar » fait-il l’éloge de la colonisation ? En effet, plusieurs aspects du livre sont discutables. Par exemple, dans le tome « Babar en voyage », les africains sont représentés de manière caricaturée et sont dépeints comme des « vilains cannibales sauvages ». Ce passage a évidemment été supprimé au fil des rééditions. Également, en devenant roi, Babar demande aux autres éléphants d’adopter les normes sociétales comme les vêtements, l’architecture, l’éducation ou encore les métiers. Sorti pendant l’exposition coloniale, en 1931, on retrouve notamment dans « Histoire de Babar », des messages passés à la jeunesse, notamment sur la « grandeur » de la France. Jean de Brunhoff reproduit les codes de la société dans laquelle il vit, ce que nous percevons aujourd’hui comme problématique mais qui ne l’était pas à l’époque. En revanche, lorsque son fils Laurent reprend le flambeau, il invente des aventures qui se veulent plus légères et qui s’adaptent à l’évolution de la société.
Lire les premiers ouvrages « Babar » est très enrichissant grâce à aux illustrations uniques et à la qualité de cet objet plutôt rare. Bien que certains messages transmis au travers de quelques anciens livres ne soient plus d’actualité et puissent parfois être problématiques, les récentes éditions de « Babar » sont encore beaucoup achetées et lues.
écrit par Suzanne et Morgane, stagiaires de seconde