7 Août 2020
« Le Livre-Échange », histoire du livre voyageur
Boîtes à livres, livres voyageurs, bibliothèques itinérantes… Autant de systèmes contemporains permettant de faire vivre la lecture au-delà de sa ville ou de son village. Il y a 150 ans déjà, un amoureux des livres mettait en place un mode de « location » de livres à travers les grandes villes françaises. Nous vous en disons plus dans cet article sur le Livre-Échange !
Le livre-échangisme
Cette histoire commence au début des années 1880. M. Étienne Molles-Puyredon, représentant en commerce de la célèbre manufacture d’orfèvrerie Christofle passe alors de longs moments dans les trains pour prospecter d’une ville à l’autre de France et de Belgique. Féru de lecture, il aime faire passer le temps du voyage en lisant des romans populaires. Malheureusement les livres coûtent assez chers et les solutions de prêt ne sont pas des plus satisfaisantes. En effet, les bibliothèques municipales existent, mais sont plutôt réservées à l’érudition. Et quand bien même elles proposent des romans pour se divertir, l’offre est généralement très limitée localement.
« Dans leur existence mouvementée, les voyageurs de commerce se voient malheureusement obligés de négliger toute étude sérieuse […] ; ceux d’entre eux, en très petit nombre, qui se forment une bibliothèque, ne peuvent en emporter les volumes dans leur malle. […]
Et le soir, en regagnant sa chambre froide et nue, est-ce que le voyageur de commerce ne demande pas à un camarade s’il n’a pas un livre à échanger? »
C’est alors que M. Molles-Puyredon a l’idée d’organiser un réseau de lecture à travers les grandes villes de France au service des personnes en itinérance – les voyageurs de commerce. Il s’associe tout d’abord à des hôtels en leur proposant d’installer une bibliothèque dédiée dans leur établissement. Chaque lecteur souhaitant acquérir un livre doit débourser 3,50 francs. S’il souhaite simplement échanger un livre, il ne paie plus que 50 cts à l’hôtelier-libraire. La recette des ventes servent à renouveler les livres vendus et rémunérer les établissements formant le réseau.
Rapidement, la formule gagne en succès, notamment grâce à un renouvellement continu des fonds, un dispositif simple d’accès (pas d’inscription nécessaire) et surtout peu coûteux. On voit alors fleurir les dépôts, dans les hôtels d’abords, puis via les professionnels du livre qui s’emparent du système: kiosquiers, libraires, éditeurs ou même imprimeurs. Ainsi le nombre de dépôts en hôtel atteindra les 450 à son apogée . Le public visé -en premier lieu les professionnels nomades de province s’élargit au grand public (de plus en plus parisien) ; le Livre-Échange intègre de la publicité pour financer son organisation.
L’inventeur du système de location, M. Molles-Puyredon qui souhaitait garder le contrôle sur son projet se voit peu à peu dépassé par l’ampleur du succès. Il sera même copié par la suite -preuve ultime de l’intelligence de son idée. Voici par exemple un descendant direct du « Livre-Échange »: le « Roman-Réclame ». Dès le titre on comprend que la ligne éditoriale n’est pas tout à fait la même, bien que le principe reste lui, identique. Les romans sélectionnés sont censés attirer les populations n’ayant pas l’habitude de lire et le financement -ouvertement revendiqué, se fait à coup de nombreuses pages de publicité (près de 200 dans notre exemplaire!).
Aujourd’hui on peu retrouver l’esprit du Livre-Échange de Molles-Puyredon dans de nombreuses initiatives, comme le Book-Crossing, qui fait voyager les livres dans le monde entier gratuitement.
28 Mar 2023
0 Comments
Kessel: le lion et son double
« Il ne faudrait jamais entreprendre de raconter un voyage : on est d’avance vaincu. […] Mais que faire ! Si l’on aime, il faut parler de l’objet de son amour. »
Joseph Kessel, En Syrie, p.9 Folio 2014.
Jef, l’aviateur, le reporter, l’académicien, Jef le russe, le juif, l’apatride aventurier, Jeff le fin psychologue, l’homme de terrain, le lion.
De l’Argentine (1898) au Val-d’Oise (1979), Joseph-Elie Kessel aura eu l’occasion de parcourir le monde de long en large plusieurs fois.
Son nom sans vous être familier ne vous est sûrement pas totalement inconnu, sans doute parce qu’il aura été à la fois un acteur important et un observateur acéré de la première moitié du 20e siècle.
De ses articles, notamment sur la survivance de l’esclavage en Abyssinie dans Le Matin (publiés entre mai et juin 1930, ils feront augmenter le tirage du journal de 150 000 exemplaires), à son rôle actif d’aviateur durant les deux guerres, sa présence marquante dans la résistance (ne serait-ce que pour l’écriture du Chant des partisans et de L’armée des ombres) en passant par ses récits plus intimistes comme Les Captifs ou sulfureux comme Belle de jour – adapté pour le cinéma en 1967 par Luis Bunuel – sans parler du succès retentissant du Lion et des Cavaliers en leur temps, Kessel aura marqué son époque avec éclat.
Une œuvre riche et polymorphe qui vaut le coup d’être (re)découverte, notamment à travers ses différents thèmes et registres représentés par un éventail significatif dans notre stock :
Que ce soit le portrait intime et politique, son amour des figures à la fois grandiloquentes et inquiétantes et l’exploration récurrente de ses doubles dans l’écriture, à travers Stavisky, l’homme que j’ai connu.
Ou comment dans Le Lion et La Piste fauve le récit-reportage s’évertue à sonder l’ambiguïté de la force, du sauvage et des liens aussi bien sociaux que sentimentaux qu’ils entretiennent entre eux et aussi des rapports de forces entre colons et colonisés (sans réel jugement ou recul par ailleurs).
Ou encore ses débuts avec La Steppe rouge, recueil de nouvelles – assez brutales – se déroulant dans la période de guerre civile que vit la Russie bolchéviste suivant la révolution d’Octobre 1917, où le jeune écrivain montre déjà son talent à travers ses personnages alliant le détail journalistique à la profondeur romanesque.
Et enfin ses deux grands œuvres représentant ensemble une forme de synthèse de sa vie et de son travail d’artiste : Le Tour du malheur, fresque romanesque à caractère autobiographique de 1600 pages répartis sur 4 tomes à laquelle Kessel tenait énormément, grand succès public à sa sortie mais qui ne parvint pas à convaincre la critique et qui reste aujourd’hui assez méconnu par rapport au reste de ses écrits ; en face de cela Les Cavaliers, roman épique consacré à l’Afghanistan et au jeu du bouzkachi, considéré comme son chef d’œuvre tant par la critique que par une grande partie du public et qui incarne peut-être le mieux ce combat que l’auteur mène avec l’écriture pour exprimer son amour du voyage.
Nous vous invitons ainsi à voyager avec cet homme fasciné et fascinant aussi bien sur notre site qu’en librairie où nous possédons aussi de belles pièces de son œuvre, parce qu’il n’est jamais trop tard pour découvrir ou approfondir sa connaissance de cet artiste dont François Mauriac disait dans son Bloc-notes :« Il est de ces êtres à qui tout excès aura été permis […] et qui aura gagné l’univers sans avoir perdu son âme. »